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Xu Haofeng  徐浩峰

Présentation  

par Brigitte Duzan, 29 août 2011, actualisé 10 mars 2018

 

Xu Haofeng (徐浩峰) doit sa célébrité au cinéma. Le seul film chinois en compétition dans la section Orizzonti de la Biennale de Venise en 2011, « The Sword Identity » (倭寇的踪迹), était son premier film. C’est lui aussi qui a été le scénariste du film de Wong Kar-wai : « The Grandmaster » (代宗師) [1]. Et c’est de son roman « Un moine taoïste descend de sa montagne » (《道士下山》) qu’a été adapté le film de Chen Kaige sorti en 2015 : « Monk Comes Down the Mountain ».

 

Même si le dernier en est plutôt une parodie, ce sont des wuxiapian (武侠片), ou films d’arts martiaux, genre que l’on associe plutôt au cinéma de Hong Kong. Xu Haofeng a insufflé une nouvelle vie au genre en remontant à ses origines et en lui donnant une nouvelle authenticité. Car,

 

Xu Haofeng (徐浩峰)

derrière les wuxiapian, il y a toute une littérature, les romans de wuxia (武侠小说), dont la tradition est très ancienne [2] et Xu Haofeng en est l’un des plus éminents représentants actuels en Chine, d’une étonnante érudition.

 

Un passionné d’arts martiaux

 

Né en 1972, Xu Haofeng a d’abord fait des études de beaux-arts, puis est entré à l’Institut du cinéma de Pékin, section mise en scène (北京电影学院导演系), dont il est sorti en 1997. Il y est alors devenu professeur. Mais il avait déjà commencé à écrire, des articles publiés sous le pseudonyme de ‘nanhe’ sur un forum internet appelé ‘wangmen’ (“王门”).

 

le temple taoïste des Nuages blancs (白云观)

 

C’étaient surtout des critiques cinématographiques, mais originales et faisant preuve d’une grande érudition, déjà deux des principales caractéristiques de Xu Haofeng. Mais, en sortant de l’Institut de Pékin, il a traversé une période de crise, induite par sa déception de ne pas avoir trouvé de poste dans un studio, et aggravée par des problèmes personnels sur lesquels il est toujours resté vague. Cette véritable traversée du désert a duré près de dix ans.

 

Ce fut cependant une période faste pour le développement de sa personnalité et de sa carrière car il eut la chance de ne pas subir de pressions parentales, et put pratiquer et approfondir les trois domaines étroitement liés de la culture traditionnelle chinoise qui constituent le fond et l’originalité de sa pensée et de son œuvre : les arts martiaux, le taoïsme et le bouddhisme.

 

Il se plongea dans l’étude de textes anciens, étudia auprès de maîtres, visita des temples, dont le temple taoïste des Nuages blancs (白云观) et le temple bouddhiste Fayuan, ou temple des origines de la Loi (法源寺), à Pékin. Sa santé s’améliora, mais surtout son champ de vision s’élargit, en particulier sur le plan historique.

 

Ses écrits en sont le reflet. Depuis 2005, outre des articles, pièces de théâtre et scénarios de films, télévisés ou non, il a publié une douzaine de livres, nouvelles et romans sur le thème des arts martiaux et biographies de maîtres célèbres.

 

le temple des origines de la Loi (法源寺)

 

Il représente une tendance toute nouvelle dans le genre très particulier du roman de wuxia, ou wuxia xiaoshuo, un genre qui était jusqu’ici associé à la littérature de Hong Kong ou de Taiwan.

 

La tradition du’ wuxia xiaoshuo’ 

 

Le wuxia (武侠) est une partie intégrante de la culture populaire chinoise, à travers la littérature, et ses adaptations à l’opéra, au cinéma, en bandes dessinées manhua (漫画) et maintenant à la télévision. Difficile à traduire car il désigne une tradition et des codes spécifiques à la Chine, voire à une époque de l’histoire chinoise, le terme s’explique en le décomposant en ses deux principaux caractères : wǔ, qui désigne le domaine du militaire, et xiá qui est une sorte de héros martial redresseur de torts, le plus souvent armé, mais pas forcément, et de toute façon pas forcément d’une épée.

 

Le xia n’est ni un chevalier ni un samouraï : il n’est à la solde de personne, et n’est nullement issu de l’aristocratie. Liés entre eux par un code d’honneur, les xia parcouraient les campagnes pour venir en aide aux opprimés, aux pauvres hères victimes d’injustices, au besoin en éliminant des despotes ou tyrans locaux. Leurs antécédents remontent au temps des Royaumes combattants, au 3ème ou 4ème siècle avant Jésus-Christ. Sous les Tang, leurs exploits ont été contés sous forme de récits légendaires ou chuanqi (). Puis ces récits ont été romancés sous les Song et les Ming, donnant in fine au 14ème siècle les deux modèles du wuxia xiaoshuo que sont « Le Roman des Trois Royaumes » (《三国演义》) de Luo Guanzhong (罗贯中), et « Au bord de l’eau » (水浒传) de Shi Nai’an (施耐庵).

 

Avec ses 108 hors-la-loi superbement typés, répondant à un code de l’honneur et des valeurs morales qui leur font préférer prendre le maquis plutôt que de servir un gouvernement corrompu, le second a eu une influence déterminante sur le développement ultérieur d’une culture dite du « jianghu » ou des lacs et des rivières (江湖), culture des marges et culture de résistance qui fut d’abord celle de nobles et braves bandits réfugiés dans les ‘vertes forêts’ (绿林好汉). De là le terme désignant les cercles d’adeptes d’arts martiaux, wǔlín, chacun se rattachant à un style ou ‘art’ particulier, wǔshù.

 

Jin Yong (金庸)

 

C’est à cette tradition que se rattachent les grands classiques du genre de la seconde moitié du vingtième siècle : les romans du Taiwanais Xiong Yaohua, ou Gu Long (古龙) et des deux écrivains émigrés à Hong Kong à la fin des années 1940 : Chen Wentong, alias Liang Yusheng (梁羽生) et Louis Cha, ou Jin Yong (金庸). C’est une littérature populaire, adaptée et immortalisée par les grands noms du cinéma de Hong Kong, de King Hu à Wong Kar-wai, dont le film « Les cendres du temps » (东邪西毒) est plus une méditation sur le thème et les personnages de Jin Yong qu’une véritable adaptation [3].

 

Xu Haofeng est à replacer dans cette lignée d’œuvres et d’écrivains, mais dans un esprit nouveau et subversif. Il a beaucoup étudié, en commençant sur le terrain, par la

pratique des arts martiaux, en la complétant par l’étude de la pensée sous-jacente, à la fois taoïste et bouddhiste. Le résultat est une série d’œuvres extrêmement originales. 

  

Un nouveau style de ‘wuxia xiaoshuo’

 

Dans un article du 10 juin 2009, le China Daily a qualifié les romans de Xu Haofeng de « nouvelle école de romans de wuxia » (新派武侠小说”). Il n’est d’ailleurs pas anodin que Wong Kar-wai ait fait appel à lui pour écrire le scénario du film qu’il est en train de terminer : tous deux, chacun dans son domaine, revisitent les codes du genre.

 

1. Le livre qui a fait connaître Xu Haofeng a été publié en 2006 et s’intitule « Les maîtres disparus » (逝去的武林). Ecrit à la mémoire de son maître Li Zhongxuan (李仲轩, 1915-2004), il s’est vendu à 300 000 exemplaires en l’espace de trois mois [4].  Ce n’est pas un roman, plutôt ce que les Chinois appellent « littérature documentaire historique » (历史纪实文学).

 

Si Xu Haofeng a commencé très tôt à s’intéresser à la culture traditionnelle chinoise, son intérêt pour les arts martiaux s’est éveillé dans les années 1980, à une époque où les films de kung-fu, comme « Le Temple de Shaolin » (《少林寺》), avec Jet Li, étaient de plus en plus connus et incitaient les jeunes à s’intéresser aux arts martiaux, qui étaient aussi encouragés par le gouvernement après avoir été interdits du temps de Mao.

 

« Les maîtres disparus » (《逝去的武林》)

 

Cependant, sa passion est véritablement née de sa rencontre avec le maître d’arts martiaux Li Zhongxuan (李仲轩), spécialiste d’un style particulier, le xingyiquan (形意拳). Pourtant, lorsqu’il lui rendit visite pour la première fois, en 1989, le vieil homme vivait quasiment en ermite, dans une maison délabrée au fond d’un vieux hutong de Pékin, et ne l’impressionna guère.

 

Il avait travaillé pendant des années comme réceptionniste dans un magasin d’articles ménagers, à Xidan, à Pékin, et n’avait rien de remarquable extérieurement. Il avait pourtant étudié avec de grands maîtres dans les années 1920 et 1930, avant de se retirer à l’âge de 34 ans dans une retraite solitaire [5]. Quand le jeune homme réalisa qui il était, il avait déjà près de 90 ans. Avec lui, les anciens maîtres d’arts martiaux devenaient des héros des grands classiques chinois. C’est cela que reflète le livre, souvenir des maîtres disparus.

 

2. Le premier roman de Xu Haofeng a été publié l’année suivante, en 2007 : « Un moine taoïste descend de sa montagne » (《道士下山》). On a alors parlé de « courant dur » du roman de wuxia (硬派武侠小说). L’histoire est pourtant pleine d’humour : au début de la République, un petit moine taoïste qui ne peut plus supporter la solitude descend en cachette de sa montagne et revient dans le monde. Résultat : il se retrouve dans un pays en pagaille, et

 

« Un moine taoïste descend de sa montagne » (《道士下山》)

fait une série de rencontres étranges, fantastiques, qui transforment son existence.

 

C’est un roman à multiples personnages construit un peu comme « Au bord de l’eau » (《水浒传》) qui en est la référence implicite. Le livre a été un best-seller.

 

3.  En octobre 2008, la publication de son troisième roman, « L’Ecole nationale de guoshu » (《国术馆》) [6], a rencontré le même succès : il s’est placé dans la liste des dix meilleurs best-sellers de l’année et a même été loué par Mo Yan (莫言).  Xu Haofeng y affirme son style.

 

Contrairement à Jin Yong ou à Gu Long, qui décrivent les astuces trouvées par leurs maîtres d’arts martiaux pour gagner leurs combats, Xu Haofeng s’attache à dépeindre la manière dont ses personnages se plient à un entraînement très strict. En revanche, l’intéressant chez lui est qu’il diverge souvent de sa ligne narrative pour y insérer des réflexions sur des sujets comme la calligraphie, la peinture, la nourriture, ou les antiquités, qui donnent de la profondeur et de la diversité à ses récits. Mais surtout le récit est traité dans le style du réalisme fantastique (魔幻写实主义) que Xu Haofeng connaît bien : il a écrit un essai sur Borgès, « L’œil de Borgès » (《博尔赫斯的眼睛》).

 

« L’école nationale de kung-fu » (《国术馆》)

 

Le personnage principal est un jeune homme qui croit qu’il a été directeur de l’école du titre à Nankin dans les années 1920. Il est décrit avec beaucoup d’humour, continuant à appliquer des règles d’un autre âge, comme une sorte de Don Quichotte embarqué dans un voyage absurde et tragique. Il préserve ses valeurs et son estime personnelle, mais est condamné à l’échec, symbole d’un monde lui-même condamné par la modernité.                                                                           

 

4. En même temps que son style s’affirme, sa pensée se complexifie. Sa nouvelle « Survivre » (《劫活》) se passe autour d’un échiquier de go dans les années 1920. Le récit est celui des combats que se livrent joueurs chinois et japonais, maîtres de kung-fu, espions et moines bouddhistes.

  

La complexité du parallélisme avec le jeu de go est illustrée par le titre, qui est un terme de go, justement. Tout le jeu est basé sur un principe de vie et de mort : les pièces encerclées sont ‘mortes’, capturées et éliminées du jeu ; on doit capturer ( jié) pour survivre ( huó), principe vital du temps des Royaumes combattants qui a vu se développer le jeu.  

 

5. Le dernier roman de Xu Haofeng revient au thème du jeu de go, mais en le couplant à un thème bouddhiste. Publié en novembre 2010, il s’intitule « Le mandala de l’illumination » (《大日坛城》). Le titre fait référence au sūtra Maha Vairocana (《大日经》), l'un des deux sutras essentiels des écoles tantriques tibétaines et japonaises ; parvenu en Chine au tout début du 8ème siècle, il fut traduit en 724-25, et la traduction gagna ensuite le Japon. L’original sanscrit ayant disparu, c’est cette version chinoise qui est la plus ancienne.

 

« Le mandala de l’illumination »

(《大日坛城》)

 

le mandala du sutra Maha Vairocana

 

Selon cette tradition, quand le Bouddha eût atteint l’illumination, il resta sous la forme de Vairocana durant sept jours pendant lesquels il transmit son enseignement à Vajrapani et à d'autres bodhisattvas, transmission évidemment symbolique. C’est cependant le jeu de go qui est au centre du récit, car le personnage principal en fut un maître en Chine dans les années 1940, au moment de la guerre sino-japonaise. Les compétitions de go, assimilées à des compétitions d’arts martiaux, reflètent la lutte entre les deux pays, mais inversée : alors que les Japonais courent de victoire en victoire, le maître de go reste invincible…   

 

Les trois éléments, bouddhisme ésotérique, arts martiaux et jeu de go, sont liés dans le roman par des

symboles convergents ; Xu Haofeng semble en faire les trois composantes d’une « voie » (”) de salut.   

 

Mais aussi des nouvelles

 

A côté de ces romans, Xu Haofeng a aussi écrit des nouvelles, plus légères et souvent teintées d’humour, qui ont paru dans diverses revues.

 

Plusieurs ont cependant été publiées dans un recueil de nouvelles de divers auteurs, en plusieurs tomes, intitulé « Les chiens courants disciples de Wang Xiaobo » (《王小波门下走狗》), publié après la mort de l’écrivain, et en son hommage. Xu Haofeng a publié trois nouvelles dans les « tomes » 3, 4 et 5.

 

La première, celle du tome 3 (第三波), n’a rien à voir avec le monde du wuxia. C’est une petite histoire pleine d’humour, très drôle même, « Le vierge du nom de Ge Bulei » (《处男葛不垒》), qui montre la grande variété du talent de son auteur.

 

Xu Haofeng a gagné une place à part dans la littérature chinoise moderne, en renouvelant le genre du roman de wuxia. Avec son premier film, « The Sword Identity » (倭寇的踪迹), et ses deux films suivants, il s’est également fait une place dans le monde du cinéma en renouvelant le film de wuxia.

 

 « Les chiens courants disciples de Wang Xiaobo » (《王小波门下走狗》)

 

 


[2] Sur les origines de cette littérature, voir la Brève histoire du wuxia xiaoshuo, dans les Histoires littéraires sur ce site.

[3] Sur Wong Kar-wai et son adaptation de Jin Yong (« Ashes of Time »), voir :

http://www.chinesemovies.com.fr/films_Wong_Kar_wai_Ashes_of_Time.htm

[4] On peut lire la traduction (en anglais) d’un extrait sur le site suivant :

http://wulinmingshi.wordpress.com/2009/03/29/departed-warriors-the-xingyiquan-of-li-zhongxuan/

[5] C’est-à-dire à l’avènement de la République populaire : les arts martiaux ont alors été interdits en Chine.

[6] Guoshu (国术) est le terme adopté par le Guomingdang pour désigner les arts martiaux quand il a créé L’Ecole centrale du guoshu à Nankin en 1928.

 

         

 

         

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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