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Yang Dian 杨典

Présentation

par Brigitte Duzan, 28 juin 2020

 

Né en 1972, Yang Dian (杨典) est un auteur atypique, lettré égaré en nos temps barbares, tel un de ces artistes polymathes de l’ère des Lumières, écrivain, poète, dramaturge, peintre et musicien, spécialiste du guqin (古琴) [1].

 

Enfant précoce, artiste complet

 

Ce fut aussi un enfant précoce. Il est né à Chongqing, en pleine Révolution culturelle. Son père étant musicien, il a appris, enfant, la musique avec lui, puis, en 1981, a commencé à étudier la peinture. En 1985, la famille est allée vivre à Pékin et il commencé à écrire deux ans plus tard. Ses premières publications datent de 1988 – il avait seize ans.

 

Depuis lors, il a touché les genres les plus divers, de la poésie et des essais et nouvelles à la critique littéraire et aux livrets d’opéra. En 2011 et 2012 il a reçu des prix de

   

 

Yang Dian

poésie, mais en même temps il a créé un studio de guqin et a commencé à l’enseigner. Aujourd’hui, il est professeur de guqin au Conservatoire national de musique à Pékin, et une célébrité dans le domaine [2].

 

Yang Dian et son guqin

 

Outre plusieurs recueils de poèmes et d’essais « au fil de la plume », il a publié trois recueils de textes sur le guqin et l’opéra qui montrent bien le lien étroit entre la musique ancienne et son œuvre littéraire, les deux puisant aux mêmes sources d’inspiration. Les nouvelles, comme les autres textes, sont truffées de citations et d’allusions qui les rendent extrêmement difficiles à traduire. Ses titres en particulier sont le plus souvent des allusions à des textes et des auteurs anciens qui demandent une recherche pour en saisir le sens. Ils sont caractéristiques de cet « intraduisible » qui est, selon Barbara Cassin, du domaine de la note en bas de page.

 

C’est le cas de son premier recueil de textes sur le guqin, publié en juillet 2010, qui recoupe théorie musicale et essais sur le théâtre : Qín xùn (《琴殉》) [3]. Xùn désigne une coutume dépeinte dans la littérature ancienne et attestée par l’archéologie : les grands

personnages étaient ensevelis avec des victimes sacrificielles, enterrées vivantes avec leur maître, les femmes en particulier. On peut en déduire un sens dérivé, symbolique, pointant vers un pouvoir autocratique réduisant au silence, donc au néant, les esprits se réclamant de liberté. On pourrait traduire « Guqin et sacrifice ». 

 

Qin xun, 2010

 

Jouer du guqin, déclamer la poésie et cultiver les légumes,

livre illustré de la main de l’auteur (blog bodhimanda)

 

Ce recueil a été suivi d’un second intitulé « Jouer du guqin, déclamer la poésie et cultiver les légumes » (《弹琴、吟诗与种菜》) qui est un recueil de textes courts, notes et commentaires illustrés de la main de l’auteur. Car, comme chez les lettrés autrefois, la peinture fait partie de l’univers de Yang Dian comme la musique et la poésie. Il a d’ailleurs publié un album de peintures, en 2012 [4].

 

Des recueils de chuanqi modernes

 

Le conte fantastique de la tradition chinoise, le chuanqi (传奇), est parfaitement en symbiose avec cet univers. Yang Dian a publié deux recueils de nouvelles courtes qui plongent aux sources de cette ancienne tradition, en y ajoutant une note personnelle, comme l’ont fait les auteurs de ce genre avant lui.

 

- Le premier recueil - « La Hache magique : récits hérétiques, histoires décadentes et autres contes fantastiques du passé » (《鬼斧集:异端小说、颓废故事与古史传奇) – a été publié en novembre 2010, mais, comme il l’explique dans la postface, il a rassemblé là des textes écrits depuis plus de vingt ans – le plus ancien date de l’année 1989. Comme toujours chez Yang Dian, la Hache magique (guǐfǔ 鬼斧) est bien sûr une référence classique : ce titre renvoie à un chengyu dont la source est un passage du Zhuangzi (《庄子》), « la hache magique de l’artisan divin » (神工鬼斧), l’expression évoquant un travail réalisé avec un art raffiné, d’une grande perfection [5].

 

La Hache magique, 2010

 

- En août 2019 paraît son second recueil : « Chronique de la cage aux oies » (《鹅笼记》). Le titre se réfère à un récit de Wu Jun (吴均) « Le lettré de Yangxian » (《阳羡书生》) [6], histoire d’un lettré qui rencontre un voyageur auquel il demande de le prendre dans la cage dans laquelle il transporte des oies ; une fois dans la cage, le lettré crache une femme pour lui tenir compagnie, qui à son tour crache un autre homme, etc. jusqu’à ce que tous les personnages soient de nouveau avalés et que l’histoire revienne à son point de départ comme un film qu’on a rembobiné. L’histoire a presque valeur de chengyu ici, symbolisant le travail de création de l’écrivain laissant courir son imagination en refusant de se laisser enfermer dans une cage, serait-ce celle de la tradition.

 

C’est bien dans la tradition des recueils de contes fantastiques qu’il se replace ; ses histoires sont de savantes reconstructions de légendes anciennes, peuplées

 

Les Contes de la cage aux oies, 2019

de personnages et animaux fabuleux. Ainsi ce récit intitulé Zhūyàn (《朱厌》) qui ne peut évidemment pas se traduire littéralement [7]. Il s’agit en fait de l’un des animaux monstrueux dont regorge le « Livre des monts et des mers » ou Shanhaijing (《山海经》) : c’est un singe effrayant qui vit dans « les monts de l’ouest » et qui, lorsqu’il apparaît, annonce une grande guerre dans le monde. 

 

Deux phrases extraites de cette nouvelle ont été choisies pour le jeu de traduction initié par Paper Republic en juin 2020 : Sunday Sentence, 一周一句 – la phrase du dimanche, comme on dit la messe dominicale. Le titre Zhūyàn《朱厌》a été astucieusement traduit « Ape of War » par le traducteur qui a choisi les phrases. Jack Hargreaves. [8]

 

- Passionné des récits de Yang Dian, il est en train de traduire un autre recueil, publié en décembre 2016, de quelque trois cents textes très courts, ce que les anglophones appellent « flash fiction », et dont il a traduit le titre chinois (《懒慢抄》) par « A Contrarian's Tales » soit « Les contes d’un anticonformiste », ou « Contes à contre-courant ». Une traduction plus exacte serait « Histoires d’un copiste fatigué », le titre faisant allusion à la conception de ces récits, qui sont repris de contes antérieurs auxquels chaque auteur ajoute un détail ou un développement. Dans la plus pure tradition du fantastique, ou plutôt de l’étrange, Yang Dian mêle des histoires pseudo-mythiques ou légendaires, avec référence à des textes classiques, à des histoires qui ont pour toile de fond l’histoire récente de la Chine.

 

Ce ne sont que des exemples d’une œuvre dont la concision de la forme n’est pas la seule originalité. La subtilité du style et des références historiques et

 

Contes d’un copiste fatigué, 2016

littéraires en rend la traduction particulièrement difficile, mais on ne désespère pas pour autant d’en voir bientôt un recueil publié en français. 

 


 

A lire en complément

 

La Postface au recueil de nouvelles « La Hache magique »

 

Trois extraits du recueil de très courts textes « A Contrarian's Tales », trad. en anglais de Jack Hargreaves

https://www.asymptotejournal.com/special-feature/yang-dian-a-contrarians-tales/

Textes chinois :

https://www.asymptotejournal.com/special-feature/yang-dian-a-contrarians-tales/chinese-simplified/

Nota :

1. Le texte 1, « Le lit pliant » (折叠床), se passe dans les années 1950, se terminant ironiquement au moment du Grand Bond en avant.

2. Le texte 2, « L’arbre qui marche la nuit » (夜行木) est typique des êtres fantastiques du « Livre des monts et des mers ». De manière caractéristique, l’arbre pousse dans les monts Kunlun.

3. Le texte 3, « La porte tournante » (旋转门) est un récit qui se passe dans la Shanghai de 1928 (année 17 de la République) et qui intègre le fantastique au cœur du quotidien, selon un procédé apparemment tout naturel, proche de Pu Songling (蒲松龄)…. un pan de qipao apparaît soudain, coincé dans la porte, comme émanant d’un fantôme…

 

Autres textes du même recueil 《懒慢抄》sur le blog de Yang Dian, avec illustrations

http://blog.sina.com.cn/s/blog_54d36a6b0102x6mf.html

 

Principales publications de Yang Dian

https://book.douban.com/subject_search?search_text=%E6%9D%A8%E5%85%B8

 

 

 


[1] Ancien instrument à cordes pincées considéré comme l’instrument même du lettré ; plusieurs sages et poètes de l’Antiquité sont associés à des pièces célèbres, dont Confucius, Zhuangzi, Qu Yuan, Zhuge Liang, etc.

[2] Il fait partie de l’Ecole Yushan de guqin (虞山派), fondée sous la dynastie des Ming à Changshu (常熟), dans le Jiangsu, et il a été l’élève de l’un des descendants des maîtres de guqin de cette école, Wu Wenguang (吴文光), lui-même né à Changshu, en 1946.

[3] Il a d’ailleurs publié parallèlement un double album CD d’enregistrements de guqin solo, « Approche la lampe et assieds-toi » (《移灯就坐》).

[4] Voir quelques-unes de ses peintures sur le site suvivorspoetry.net : http://www.survivorspoetry.net/artclub_pic.asp?id=172

[5] Voir le livre présenté sur le blog de l’auteur, avec le détail de la table des matières et la postface (后记) : http://blog.sina.com.cn/s/blog_54d36a6b0100nek3.html

[7] Les deux caractères signifient mot à mot « haine vermillon ».

[8] Voir les propositions de traduction, et surtout les commentaires qui les accompagnent : https://paper-republic.org/pers/jack-hargreaves/sunday-sentence-4/?c=169851

 

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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