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				Club de 
				lecture « A la page » (Narbonne)
				
				
				
				 
				
				Compte rendu de la 
				séance du lundi 1er avril 2019 
				
				par Brigitte Duzan, 7 avril 2019 
				    
							Séance consacrée aux 
							deux livres programmés : Un Paradis
							et  
				
				Funérailles molles
 En présence de la traductrice Brigitte Duzan
   
						
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							Un Paradis |  | 
							 
							Funérailles molles |    
							1.     
							
							
							« Un Paradis » de  
							
				
							Sheng Keyi 
							
							
							  
							
							
							A/ Avis des lecteurs   
				
				-         
				
				
				Réactions positives  
				
				
				  
						
							| 
							
							o   
							
							
							La lecture : 
							écrit en courts chapitres, le récit est aisé à lire 
							bien que triste et dur, et même cruel. 
							
							o   
							
							
							Le thème : 
							la pratique des mères porteuses est d’actualité. 
							
							o   
							
							
							Le genre : 
							le roman se lit comme une fable, comme une allégorie 
							du régime chinois. Il est à certains moments traité 
							plus comme une farce que comme une fable. 
							
							o   
							
							
							La composition : 
							le récit se présente comme une double narration, 
							avec un style réaliste pour la peinture de la vie de 
							la clinique, et un style poétique pour l’évocation 
							de l’imaginaire du personnage principal, la jeune 
							Wenshui, qui opère un glissement constant du présent 
							vers le passé. 
							
							o   
							
							
							La narratrice : 
							l’atout majeur du récit tient précisément au 
							choix du personnage de Wenshui comme narratrice 
							principale, narratrice muette au regard d’enfant 
							restée en-deçà du langage, comme si elle était 
							encore en gestation, seule parmi les femmes à ne pas 
							avoir conscience de son corps comme valeur 
							
							d’échange. C’est son point de vue décalé sur la 
							réalité qui se traduit en termes poétiques. |  | 
							
							 
							« Un Paradis » ou Fudi : (publication en Chine dans un recueil
 de nouvelles de l’auteure, 2016)
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				o   
				
				Les 
				personnages féminins : 
				l’auteure dresse une intéressante peinture des femmes entrées 
				dans la clinique : de leurs motivations économiques et pratiques 
				d’une part, et de leurs rapports entre elles d’autre part, avec 
				un accent particulier sur leur solidarité collective. 
				
				o   
				
				L’écriture : 
				l’intérêt de la lecture tient à la qualité des scènes très 
				vivantes, de l’humour, des images originales : 
				"ses 
				seins forment deux monticules, comme des tertres funéraires dont 
				la terre semble s'être répandue jusque sous son menton" 
				"les 
				deux hommes quittent la salle à manger comme un navire levant 
				l'ancre. Et les femmes se réunissent à nouveau, comme l'eau se 
				refermant dans le sillage d'un bateau". 
				
				o   
				
				Les 
				illustrations : 
				les beaux lavis inédits de l’auteure qui renforcent le côté 
				poétique sont particulièrement appréciés. 
				  
				
				-         
				
				
				Réserves  
				  
				
				o   
				
				
				Le ton engagé et même dénonciateur provoque des réticences, de 
				même que le thème. 
				
				o   
				
				
				Une lassitude croissante s’est installée chez certaines 
				lectrices au fur et à mesure de la lecture faute de profondeur 
				des personnages, les dirigeants apparaissant comme des 
				marionnettes. 
				
				  
				
				-         
				
				
				Analogies littéraires      
				  
				
				o   
				
				
				Avec La Servante écarlate de la Canadienne Margaret 
				Atwood, pour le sort des femmes, asservies et réduites au rôle 
				de reproductrices. 
				
				o   
				
				
				Avec Confiteor de Jaume Cabré, pour le glissement subtil 
				du présent au passé, parfois dans une même phrase
				
				
				dans le roman du Catalan. 
				
				  
				
				-         
				
				
				Question finale 
				  
				
				o   
				
				
				Quelle est la signification de la fin du roman : faut-il 
				comprendre que Wenshui est morte, et entre dans un autre monde, 
				celui où est déjà son chien, qu’elle va retrouver ? 
				
				   
				
				
				B/ Commentaires de la traductrice  
				
				  
						
							| 
							
							o   
							
							La 
							division en courts chapitres est effectivement l’une 
							des caractéristiques distinctives de ce récit, qui 
							n’est pas véritablement un roman court, mais ce que 
							les Chinois appellent une nouvelle « moyenne », 
							c’est-à-dire une forme allongée de la nouvelle 
							courte, dont elle garde les caractéristiques, mais 
							en se donnant les moyens de développer une ligne 
							narrative un peu plus élaborée 
							
							
							.
							 
							
							o   
							
							
							Il faut souligner que, à part Wenshui, les femmes 
							ont toutes une motivation personnelle – économique - 
							pour entrer dans la clinique et devenir mères 
							porteuses, ce qui les distingue fondamentalement des 
							« servantes écarlates » de Margaret Atwood. Elles 
							sont libres de leur choix et en espèrent un 
							bénéfice. 
							
							o   
							
							
							Le récit est une satire mordante du régime chinois, 
							les discours du président reproduisant avec un 
							certain cynisme la langue de bois et la démesure 
							usuelles des propos publics. Cela peut paraître 
							caricatural, mais ce n’est pas très loin de la 
							réalité.  |  | 
							
							 
							Paradis, une illustration |  
				
				o   
				
				
				Le ton dénonciateur correspond à l’esprit engagé de l’auteure, 
				l’une des écrivaines les plus féministes en Chine aujourd’hui, 
				dénonçant l’utilisation du corps des femmes par le régime pour 
				ses propres objectifs (travail des femmes au début du régime 
				maoïste et procréation sous contrôle avec avortements forcés par 
				la suite). 
				
				o   
				
				
				Pour ce qui concerne le sens à donner à la fin, il est laissé au 
				lecteur le soin de l’imaginer. Lors de son passage à Paris pour 
				présenter le livre, Sheng Keyi a cependant expliqué quelle était 
				son idée : une fois le président et ses assistants arrêtés, et 
				la clinique vidée de ses habitantes et promise à la fermeture, 
				Wenshui se retrouve seule, libre de franchir la grille autrefois 
				soigneusement gardée ; mais le monde qu’elle va retrouver n’a en 
				fait guère de différence avec celui de la clinique : il est tout 
				aussi étroitement contrôlé. Ajoutons que son seul espoir est 
				celui de pouvoir retrouver son petit chien, car c’est toujours 
				le rêve et l’illusion qui lui permettront de vivre.  
				
				  
				
				« Un Paradis » a souffert de la comparaison inévitable avec 
				« Funérailles molles », puisque les deux livres étaient 
				programmés ensemble pour la même séance. 
				  
				2.     
				
				« Funérailles molles » de 
				
				Fang 
				Fang 
				
				
				  
				
				Les avis ont été unanimement positifs, et enrichis de références 
				littéraires. 
				  
				
				
				A/ Avis des lecteurs 
				
				  
				
				-         
				
				
				Avis unanimes 
				  
						
							| 
							
							o   
							
							Effet sur le lecteur : « Funérailles molles » est « addictif comme un roman 
							policier » ; il est difficile de le reposer une fois 
							qu’on a commencé à le lire, de par l’intérêt, les 
							émotions, les découvertes qu’il suscite et l’art de 
							la narration. 
							
							o   
							
							Genre : 
							sous la fiction, le roman est ressenti aussi comme 
							un témoignage, voire un documentaire, pour le 
							lecteur français :  la fiction, cependant, facilite 
							le traitement des données historiques qui sont 
							reçues comme instructives. 
				
				o   
				
				Thèmes : 
				la richesse du livre tient à qu’il se lit à plusieurs niveaux : 
				niveau politique (la réforme agraire), niveau historique 
				(histoire régionale évoquée à travers des épisodes historiques 
				différents, en particulier histoire des familles de 
				propriétaires terriens racontée à travers l’histoire des 
				maisons), niveau individuel (histoire des personnages). Le thème 
				fondamental est ainsi une interrogation sur la  |  | 
						
						 
							« Funérailles molles » ou 
							Ruan mai 
							(publication en Chine, 2016)
 |  
				
				     mémoire : devoir 
				de mémoire, impossibilité d’y échapper, mais aussi désir 
				d’oubli ; il suscite des réflexions politiques 
				et philosophiques. 
				
				o   
				
				Composition : elle est particulièrement appréciée ; complexe, tout en étant 
				claire, elle tisse la narration de la réalité et celle de la 
				mémoire, représentée par une remontée vers le passé en 18 étapes 
				- remontée vers le passé qui est une remontée vers la lumière, 
				mais aussi vers l’horreur de ce passé, qui justifie le désir de 
				l’oublier. 
				
				o   
				
				Ecriture : une langue apparemment simple soutient la profondeur des thèmes 
				sous-jacents. 
				
				o   
				
				Intertextualité : les nombreuses analogies et parallèles littéraires développés 
				ont été dans le sens d’un élargissement de ses thèmes de 
				réflexion : 
				
				-          Le 
				récit autobiographique de Primo Levi « Si c’est un homme » 
				renvoie à un devoir de mémoire (le titre est un extrait d’un 
				poème de l’auteur dans lequel il enjoint au lecteur de toujours 
				conserver le souvenir des camps et de le transmettre). 
				
				-          Un 
				parallèle est évoqué avec « La Fin de l’Homme rouge » de 
				Svetlana Alexievitch, écrit à partir d’un recueil de 
				témoignages, tandis que, dans le cas de  
				
				« Funérailles molles 
				», la fiction est choisie pour traiter la dimension historique. 
				
				-          « 
				Funérailles molles » fait penser au mythe d’Antigone et à ses 
				symboles : 
				
				=> 
				rébellion contre les lois de la cité et suicide comme 
				rébellion   
				
				=> refus de 
				la honte (séances de lutte dans « Funérailles molles ») 
				
				=> 
				transmission de l’histoire pour dépasser l’horreur et les 
				atrocités 
				
				-          Le 
				manoir des fantômes rappelle Baudelaire et le chant des morts 
				sans sépulture dans son poème Spleen : des 
				esprits errants et sans patrie qui se mettent à geindre 
				opiniâtrement. 
							
							
							-          Le 
							Premier Cercle de 
							Soljenitsyne a des liens particuliers avec « 
							Funérailles molles », par son pessimisme quant au 
							devoir de mémoire, mais aussi par son titre, qui 
							renvoie aux neuf cercles de l’Enfer de Dante. 
				  
							
							-         
							
							
							Une question  
							  
							
							Pourquoi 18 niveaux de mémoire, 18 étapes pour 
							remonter à ses sources ? Il n’y a que neuf cercles 
							dans l’Enfer de Dante. 
				  
						
							|  | 
							
							 
							Les neuf cercles de l’Enfer, 
							manuscrit  
							de La Divine Comédie illustré par 
							Botticelli |  |  
				  
				
				
				B/ Commentaires et réponse de la traductrice   
				
				         Pour les commentaires généraux sur le roman, et en 
				particulier sur la composition et les détails historiques, voir 
				ceux donnés dans le compte rendu de la séance du
				
				
				club de lecture Voix au chapitre-Morbihan
				consacrée aux deux mêmes livres.  
				  
				
				         Pour ce qui concerne la question sur les 18 niveaux de 
				mémoire, on peut avancer une réponse provisoire, en attendant de 
				poser la question directement à Fang Fang elle-même : il est 
				vrai qu’il n’y a que neuf cercles dans l’Enfer de Dante 
				qui semble être la référence. Chaque cercle, après le premier, 
				Les Limbes, est celui d’un péché. Mais le huitième cercle (Ruse 
				et tromperie) est divisé en dix « fosses » (bolges). Donc 
				cela fait au total … 18 niveaux (7+10+1).    
				
				         Mais il n’est pas exclu que la référence soit toute 
				autre… 
				
				  
				
				  
				
				La séance du groupe de lecture était suivie le lendemain d’une 
				conférence à la médiathèque de Narbonne dans le cadre de 
				l’Université Populaire de la Narbonnaise, développée ensuite en 
				un article plus complet :  
				
				
				La littérature chinoise contemporaine : un 
				univers méconnu, entre nouvelle et roman 
				
				    
				
				
 
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