Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

IV. Du chuanqi des Tang au chuanqi des Ming  

par Brigitte Duzan, 18 mai 2022

 

4. Le Yulan Ji : du théâtre à l’opéra et au cinéma

 

Chuanqi des Ming d’inspiration bouddhique à l’origine, le Guanyin Yulan ji ou « Histoire de la Guanyin au panier de poissons » (《观世音鱼篮记》) a évolué en se rapprochant de la légende du Serpent blanc (《白蛇传》).

 

La pièce : un chuanqi des Ming

 

Yulan ji (鱼篮记) ou « Histoire du panier de poissons » est une pièce anonyme de type chuanqi (传奇), en 32 actes, initialement publiée par un éditeur de Nankin pendant l’ère Wanli (1573-1615) du règne de l’empereur Shenzong des Ming (明神宗).

 

L’histoire se déroule au 11e siècle, sous la dynastie des Song. Elle conte l’histoire d’un « esprit carpe » (鯉魚精) qui séduit un pauvre étudiant du nom de Zhang Zhen (张珍) en prenant la forme de la jeune fille qu’il aime, Jin Mudan (金牡丹). Le bodhisattva Guanyin, le Roi des dragons et le légendaire juge Bao (Bao Gong 包公) unissent leurs forces

 

La stèle dédiée à la Guanyin

au panier de poissons (1587)

pour capturer cet esprit poisson que Guanyin réussit à enfermer dans un panier à poissons, d’où le titre complet de la pièce : « L’histoire du panier de poissons de Guanyin » (《观世音鱼篮记》). 

 

Histoire originale

 

Zhang Zhen était le fils d’un honnête lettré qui avait été promis en mariage dès l’enfance à la fille d’un ami de son père, Jin Mudan. Mais, quand il se présente à la famille Jin une fois adulte, il est renvoyé en raison de sa pauvreté. Un esprit-poisson prend alors l’apparence de Mudan en séduisant le jeune homme et en jetant un sort à la vraie Mudan qui tombe malade. Les parents affolés rappellent Zhang Zhen, qui revient avec la fausse Mudan. Comme ils ne peuvent distinguer la vraie de la fausse, ils font appel au juge Bao pour résoudre l’affaire,

 

Le Guanyin yulan ji, roman illustré

et celui-ci fait ici appel aux dieux pour l’aider. L’esprit-poisson est finalement capturé par Guanyin. Zhang Zhen est reçu aux examens mandarinaux et peut revenir épouser Jin Mudan.

 

Représentation bouddhique :

Guanyin et la carpe

 

La pièce avait ainsi, à l’origine, une forte connotation bouddhiste, reprenant des croyances populaires liées à une incarnation de Guanyin, la « Guanyin au panier de poissons ».  Cette Guanyin était l’objet d’une dévotion spéciale de la part de l’impératrice douairière Li (Li Taihou 李太后), mère de l’empereur Shenzong qui lui fit graver une stèle pour son 42ème anniversaire. La stèle avait été placée dans le temple Cishou (慈寿寺) à Pékin, temple qui avait été construit par l’impératrice douairière mais qui a été détruit sous les Qing sans que l’on sache exactement ce qu’il advint de la stèle.

 

Cette référence bouddhique a été par la suite gommée de l’histoire du Yulan ji, en conservant cependant l’intervention de Guanyin, comme celle du juge Bao, et en faisant de la carpe une femme amoureuse désireuse de subir les souffrances du monde terrestre pour poursuivre son amour. En ce sens, le Yulan ji s’est rapproché de la légende du Serpent blanc (《白蛇传》), dont une version du 16e siècle, d’ailleurs, dans les « Chroniques de promenades au lac de l’Ouest » (《西湖游览志》) de

Tian Rusheng (田汝成), reprend l’une des sources de la légende selon laquelle la servante du Serpent blanc, à l’origine, était un petit poisson.

 

Réécriture par Tian Han

 

L’histoire a été adaptée par Tian Han (田汉) dans le cadre de son travail de modernisation des opéras traditionnels entrepris dans les années 1950. Commencé pendant l’été 1956, le livret a été révisé par Tian Han et finalement coécrit avec son épouse An E (安娥) qui était en convalescence à Hangzhou ; il a été publié en août 1957 dans la revue mensuelle Juben (《剧本》) sous le titre « Les écailles d’or » (Jinlin ji金鱗). Ce livret est à rapprocher de celui achevé par Tian Han en 1952 à partir de

 

Tian Han et son épouse An E

la légende du Serpent blanc, selon le même principe directeur : « exposer l’ancien et en faire émerger le nouveau » (推陈出新).  

 

Mais alors que « Le Serpent blanc » était destiné à être adapté en opéra de Pékin, « Les écailles d’or » fut d’abord adapté en opéra yueju.

 

Adaptations à l’opéra et au cinéma

 

Le Yulan ji a en fait été adapté en divers styles d’opéras qui ont été filmés. Sans compter les films télévisés, les principaux films sont les suivants :

 

-          Opéra cantonais

The Carp Spirit (鯉魚精), film hongkongais de 1958 avec Yam Kim-fai et Ng Kwan Lai.

 

-          Opéra yue

 

Chasing the Fish ou The Carp Fairy (Zhuiyu追魚), film de 1959 réalisé par Ying Yunwei (应云卫)

avec Wang Wenjuan (王文娟)* et Xu Yulan (徐玉兰)**.

*Wang Wenjuan (1926-2021) : fondatrice de l’école Wang de yueju, célèbre pour avoir interprété le rôle de Lin Daiyu dans le film de 1962 réalisé par Cen Fan (岑范) « Dream of the Red Chamber » (《红楼梦》), adaptation en yueju du roman de Cao Xueqin.

** Xu Yulan (1921-2017) : l’une des « dix sœurs du yueju » (越剧十姐妹) à la fin des années 1940, créatrice du « style Xu » d’interprétation des rôles masculins de xiaosheng dans l’opéra yue. Lors des célébrations de la Fête nationale de 1959, elle a représenté l’opéra de Shaoxing aux côtés des stars de l’opéra de Pékin (dont Mei Lanfang), de l’opéra cantonais et du kunqu.

 

Chasing the Fish, yueju 1959 https://www.youtube.com/watch?v=6n_5zFojWt8

 

-          Opéra huangmei

 

1/ A Mermaid's Love (碧波仙侶), film hongkongais de 1960 réalisé par Huang Yu (黄域), avec Xia Meng (夏梦) dans le rôle de Jin Mudan et Fu Chi (傅奇) dans celui de Zhang Zhen.

 

A Mermaid's Love, 1960 https://www.bilibili.com/video/BV1B541157mm/

 

2/ The Mermaid (魚美人), film hongkongais de 1965 produit par la Shaw Brothers et réalisé par Kao Li (高立) sur un scénario de Chang Cheh (张彻),

avec Li Ching (李菁) dans le double rôle féminin et Ivy Ling Po (凌波) dans celui de Zhang Zhen.

 

Le film (en 12 parties) https://www.youtube.com/watch?v=Bnw-U3mwrhU&list=PLC03189C59059BAA5

 

-          Opéra de Chaozhou/Teochew

Golden Peony and Her Imposter (真假金牡丹), film hongkongais de 1965.

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.