Textes divers

 
 
 
           

 

 

周云蓬 : 《绿皮火车》

Zhou Yunpeng : « Le train vert »

par Brigitte Duzan, 27 août 2010

    

Présentation

    

Han Han (韩寒) a choisi le texte de son ami le poète et chanteur Zhou Yunpeng (周云蓬) pour ouvrir le premier numéro de sa revue Duchangtuan (《独唱团》).

    

Zhou Yunpeng, né en 1970, est devenu aveugle à l’âge de neuf ans, comme il le mentionne dans son texte. La dernière image qu’il aurait gardée en mémoire serait celle d’un éléphant jouant de l’harmonica vu lors d’une visite au zoo de Pékin, et cela aurait inspiré sa vocation. Chantant les beautés de la nature et la misère du monde, il se fait le chantre des pauvres et des opprimés, dénonce les injustices et les catastrophes mal gérées…

    

Comme Han Han, Zhou Yunpeng est censuré mais toléré. Ses chants sont des poèmes mis en musique du genre ballades populaires (民谣). Ils ressemblent à ce qu’on

 

Zhou Yunpeng (周云蓬)

appelle en Amérique latine « canción de protesta » et aux folk songs de la génération beatnick aux Etats-Unis. L’un de ses modèles est Bob Dylan, auquel il fait aussi référence dans son article.

    

C’est une icône très populaire auprès des jeunes, et c’est sans doute la raison du choix de Han Han pour le lancement de Duchangtuan. Son texte n’est cependant pas très « littéraire », comme Han Han tient à définir sa revue, et n’a rien de ce qui fait la force incisive et percutante de ses chansons : si les deux premières parties sont assez bien écrites, les deux suivantes sont une sorte de road movie décousu et longuet, et la dernière une simple série de souvenirs sans cohésion. S’il rappelle le genre traditionnel de la « littérature de voyage », il n’en a pas la profondeur. Il semble en outre avoir été dicté sans avoir été ensuite relu correctement : la transcription conservait en particulier un certain nombre de caractères erronés (qui ont été corrigés).

    

C’est cependant un texte intéressant à plusieurs égards. C’est un témoignage d’une époque, d’un personnage devenu le symbole ambigu d’une génération, et il comporte plusieurs hommages émouvants, ainsi que quelques anecdotes savoureuses. C’est aussi un témoignage sur l’édition chinoise, une sorte d’état des lieux de ce qui se lit aujourd’hui en Chine : la revue a quand même été tirée à 700 000 exemplaires, et le texte de Zhou Yunpeng a été, selon une enquête, le plus lu , avec celui de Han Han, sur les quelque trente quatre qui figurent à la table des matières. L’avenir dira s’il ne s’agissait là que d’un enthousiasme passager, un phénomène ponctuel de mode.

    

Note sur le vocabulaire et la traduction : le texte a l’autre avantage de ne pas être difficile à lire ; la seule difficulté majeure pour des lecteurs non chinois réside dans les personnages et noms de lieux cités. Ils sont donc expliqués en détail, et les numéros indiqués dans la traduction renvoient aux explications données dans le vocabulaire.

    


    

Texte

    

我家住在铁西区1,是沈阳的工业中心,“铁西”名字的由来是因为有个铁路桥在我们的东边。每次坐公共汽车路过那里,我总要踮起脚2向桥上看,那里时常会有火车经过,那种力量和速度,以及它要去的远方,令一个孩子兴奋恐惧。

后来,我患上青光眼3,妈妈带我去南方看病,那时从沈阳到上海需要两天一夜,感觉真是出远门。走之前,很多邻居都会到我家来,让妈妈帮带上海的时髦衣服、泡泡糖,奶油饼干……很多小朋友甚至羡慕4我说,他们也想有眼病,那样就可以去上海了。那是上世纪七十年代的中国。

在火车土,孩子的兴奋就那么一会儿,接下来是疲惫困倦5,妈妈把她的座位也空出来,这样我就有了小床,睡得昏天黑地6:那时不懂事,不知道妈妈这一夜是怎么熬过去的7。快到长江的时候,妈妈把我叫起来,说前方就是南京长江大桥,在无数宣传画上看到过,就是两毛钱人民币上那个雄伟8的大家伙,我就要亲眼看到了。

在夜里,过桥的时候黑咕隆咚9,只看见一个个桥灯“刷刷”地闪向后方,想象着下面是又深又宽的江水,火车的声音空空洞洞,变得不那么霸道10。大概持续了十几分钟,当时想这桥该多长啊,一定是世界上最长的桥,就像我认为中国是世界上最大的国家,沈阳是中国最大的城市,当然除了北京。

   

Vocabulaire et traduction I :

   

01 铁西区   tiěxīqū  le quartier ‘à l’ouest des rails’, ancien quartier industriel de Shěnyáng (沈阳), capitale de la province du Liáoníng  (辽宁).

Note : c’est le titre et le sujet du célèbre documentaire de Wang Bing (王兵), tourné de 1999 à 2003,  qui montre la lente agonie du quartier à la suite de la fermeture des usines qui furent un temps, des années trente aux années quatre-vingt, le fer de lance de l’industrie lourde chinoise. Une voie ferrée qui desservait les usines traversait le quartier. Le documentaire commence justement par une longue et lente séquence prise d’une locomotive qui parcourt la voie dans la neige, au milieu des ruines industrielles.

Le quartier a depuis lors été totalement reconstruit, mais celui qu’a connu Zhou Yunpeng dans son enfance est celui du haut dans la photo ci-dessous :

 

 

L’affiche chinoise 

du documentaire ‘A l’ouest des rails’

Photo du quartier ‘avant’ et ‘après’

 

   

02 踮起脚     diǎnqǐjiǎo  se mettre sur la pointe des pieds

03青光眼   qīngguāngyǎn  glaucome       患上 huàngshàng  contacter, développer (une maladie)

04 羡慕    xiànmù  envier

05 疲惫    píbèi    fatigué  困倦  kùnjuàn  avoir sommeil

06 昏天黑地 hūntiānhēidì    sombre (pour une période historique…) / ici : à poings fermés

07       áo   mijoter / souffrir, endurer

08 雄伟    xióngwěi  imposant

C’était le premier pont de ce genre à être conçu par des ingénieurs chinois, et réalisé, en 1968, sans aide soviétique, avec pour seul guide la pensée de Mao Zedong ; ce fut donc effectivement un superbe instrument de propagande.

 

Le pont sur le Yangtse à Nankin

Vidéo montrant la voie ferrée, sous la chaussée : http://v.ku6.com/show/eAJvrw4lP13KjAX7.html

Les affiches de propagande de la collection Landsberger comportant le pont :

http://chineseposters.net/themes/yangzi-river-bridge.php

09 黑咕隆咚 hēigulōngdōng  noir comme dans un four

10 霸道    bàdào  tyrannique / puissant

    

Nous vivions dans un quartier appelé “A l’ouest des rails”, qui était le centre industriel de Shenyang ; le nom venait d’un pont de chemin de fer à l’est de chez nous. Chaque fois que j’y passais en bus, je me mettais toujours sur la pointe des pieds pour regarder car on y voyait souvent des trains passer: leur puissance, leur vitesse, les endroits lointains où ils allaient, tout cela était propre à exciter et effrayer un enfant.

    

Par la suite, j’ai eu un glaucome, maman m’a emmené dans le sud voir un docteur ; à cette époque-là, il fallait deux jours et une nuit pour aller de Shenyang à Shanghai, on avait vraiment l’impression de partir au bout du monde. Avant notre départ, une foule de voisins sont venus nous voir, ils ont demandé à maman de rapporter des vêtements à la mode de Shanghai, du chewing gum, des gâteaux à la crème… Beaucoup de mes petits camarades étaient même jaloux, au point de vouloir eux aussi avoir une maladie des yeux pour pouvoir aller à Shanghai. C’était ainsi, la Chine des années 1970.

    

Dans le train, mon excitation d’enfant dura un moment, puis je me sentis épuisé, alors maman me céda sa place ; cela me fit un petit lit où j’ai dormi à poings fermés ; je n’avais alors aucune conscience de la réalité, et je ne me suis pas demandé comment maman avait passé sa nuit. Elle m’a réveillé un peu avant d’arriver au Yangzi, elle m’a dit qu’on arrivait au grand pont de Nankin sur ce fleuve, celui qu’on voyait sur je ne sais combien d’affiches de propagande, et qui était devenu pour tout le monde un vénérable compagnon parce qu’il illustrait les billets de vingt centimes de yuan, il fallait donc que je le voie de mes propres yeux.

    

Il faisait nuit quand nous avons traversé le pont, et il faisait noir comme dans un four, on ne voyait que les réverbères du pont qui passaient un à un comme des éclairs dans l’obscurité, choua choua…. On imaginait sous le pont le fleuve vaste et profond, le train, lui, sonnait creux, cela lui enlevait beaucoup de sa superbe. Cela a duré une bonne dizaine de minutes, le pont n’en finissait pas, je me disais que ce devait être le plus long du monde, de la même manière que la Chine était dans mon esprit le plus grand pays du monde, et Shenyang la plus grande ville de Chine, à part Pékin, bien sûr.

    

我十六岁了,是个失明七年的盲人,确切地说1,我是个像张海迪2一样残而不废3的好少年。我可以拄着棍子满大街地走,能躲汽车过马路,能进商店买东西。

一天,我告诉妈妈要去同学家住几天,然后偷偷买了去天津的火车票。那时我已经知道,沈阳只是个落后的工人村,远方还有成都武汉天津北京。

我乘坐的是从佳木斯4开来的火车,因为是过路车,没座位。我坐在车厢连接的地方,想象着将要面临的大城市。我终于一个人面对世界了,拿出事先买好的啤酒和煮鸡蛋,喝上两口,干是世界就成我哥们了,和我在一起。

坐在我旁边的是个老头,他咽着口水,说小伙子,能给我一口吗? 我把自己喝剩下的半瓶啤酒给了他。他说我看上去就不是个凡人,将来一定前程远大。我一高兴,又给了他两个煮鸡蛋。

到天津,住在一家小旅馆里,一天两块钱。在街上走,听了满耳朵的天津话,接下来坐了两小时的火车,到了伟大祖国的首都北京。

那时我那么崇拜文化5,一下火车就去了王府井书店6,还没拆的那个。傍晚,去了陶然亭7,因为我刚听过收音机播的《石评梅传》7,想去拜祭一下这位遥远的才女。

    

Vocabulaire et traduction  II :

    

01 确切地说 quèqièdeshuō   plus précisément

02 张海迪      Zhāng Hǎidí

Née à Jin’an, dans la province du Shandong, en 1955, Zhang Haidi est devenue paraplégique à l’âge de cinq ans à la suite de quatre opérations de la moelle épinière pour éliminer des tumeurs. Incapable d’aller à l’école, elle a étudié seule, apprenant plusieurs langues, dont l’anglais, l’allemand et le japonais, et devenant traductrice. Elle a commencé a apparaître sur des affiches de propagande à partir de 1983. Fin 2008, elle a été élue présidente de la Fédération des Handicapés de Chine.        

Affiches de propagande http://www.iisg.nl/landsberger/zhd.html

03 残而不废 cán’érbúfèi  handicapé mais pas totalement invalide

 

Zhang Haidi aujourd’hui

04 佳木斯  Jiāmùsī   ville à l’est de la province du Heilongjiang, à l’extrême nord-est de la Chine.

05 崇拜    chóngbài  vénérer

06 王府井  Wángfǔjǐng  célèbre rue piétonnière de Pékin, principale artère commerciale (et touristique) où se trouve une immense librairie (书店) sur plusieurs étages.   chāi  démolir

07 陶然亭  Táorántíng   parc du sud de Pékin, l’un des seuls endroits de la capitale où pouvaient se rassembler les lettrés sous les Qing, les autres jardins étant réservés à la famille impériale.

Shi Pingmei (石评梅) est une jeune femme au destin tragique qui y est enterrée. Née en 1902 dans le Shanxi, elle fut un jeune génie d’une incroyable précocité ; on dit qu’elle savait lire à deux ans. En 1920, à l’âge de 18 ans, elle entra à l’Institut de formation des enseignantes, à Pékin, où elle eut pour professeur Li Dazhao, l’un des fondateurs du Parti communiste chinois ; elle se lança dans des activités révolutionnaires tout en commençant à écrire, publiant poèmes, essais et nouvelles. En 1925, elle était devenue l’un des écrivains les plus influents de Pékin, défendant le statut des femmes et la lutte contre l’impérialisme. Plusieurs années auparavant, elle avait rencontré un jeune étudiant qui avait été l’élève de son père et était comme elle poète et révolutionnaire : Gao Junyu (高君宇). Mais il avait été marié par sa famille à 18 ans. Il finit pas obtenir le divorce en 1924 et tenta de convaincre Shi Pingmei de

l’épouser : ils allèrent au parc Taoranting, et Gao lui dit que, s’il devait mourir, il aimerait être enterré près du pavillon. Peu de temps plus tard, il mourut de problèmes pulmonaires doublés d’une appendicite. Shi Pingmei l’enterra comme il l’avait désiré, et l’on dit que ses pleurs arrosèrent le cyprès qui pousse au-dessus de la tombe. Elle mourut elle-même en septembre 1928 d’une inflammation cérébrale, et ses cendres furent enterrées dans une tombe près de celle de Gao Junyu.

Après la fondation de la République populaire, Zhou Enlai alla se recueillir sur sa tombe, et lui rendit hommage en disant qu’être révolutionnaire n’empêchait pas d’être amoureux.

L’histoire de Shi Pingmei est consignée dans l’ouvrage intitulé《石评梅传》auquel fait allusion Zhou Yunpeng.

Voir aussi l’évocation du parc Taoranting dans le texte de Yu Dafu « L’automne dans l’ancienne capitale » (郁达夫《故都的秋).
   

A l’âge de seize ans, cela faisait sept ans que j’étais totalement aveugle ; plus précisément, j’étais comme Zhang Haidi, un adolescent handicapé mais pas invalide. J’étais capable de circuler dans les rues en m’aidant d’une canne, de traverser en évitant les voitures, et de faire mes courses dans les magasins.

    

Un jour, j’ai dit à maman que j’allais passer quelques jours chez un camarade de classe ; je suis alors allé, en cachette, acheter un billet de train pour Tianjin, j’avais alors réalisé que Shenyang n’était qu’un trou industriel paumé, et qu’il y avait quelque part, très loin, Chengdu, Wuhan, Tianjin, Pékin.

    

J’ai pris un train qui venait de Jiamusi (4), et comme il desservait d’autres gares en chemin, il était plein. Je me suis assis dans l’accordéon entre deux wagons, tout à l’idée de me retrouver face à la grande ville. J’allais enfin, seul, affronter le monde ; j’ai sorti la bière et les œufs durs que j’avais achetés, et il me suffit de deux gorgées pour me sentir en symbiose avec le monde, membre d’une fratrie universelle.

    

A côté de moi était assis un vieil homme que cela faisait saliver ; il me dit : jeune homme, tu ne pourrais pas m’en donner un peu ? Je lui ai passé la bouteille avec la moitié de la bière qui restait. Il me dit que, de toute évidence, je n’étais pas quelqu’un d’ordinaire, et que j’irais certainement loin. Ravi, je lui ai aussi donné deux œufs durs.

    

A Tianjin, j’ai pris une chambre dans une petite auberge, à deux yuans par jour. Dans les rues, j’avais les oreilles qui bruissaient du dialecte de Tianjin. Puis j’ai encore fait deux heures de train, et je suis arrivé dans la grande capitale nationale, Pékin.

    

Je vénérais alors tellement la culture que, aussitôt descendu du train, je suis allé à la librairie de Wangfujing, celle qui a, depuis lors, été rasée. En fin de journée, je suis ensuite allé au parc de Taoranting parce que je venais d’entendre à la radio une émission sur le livre « L’histoire de Shi Pingmei » (7), et que voulais me recueillir sur la tombe de cette talentueuse jeune femme d’un lointain passé.

      

爸爸说,你要想唱歌,就得向毛宁1学习争上中央电视台,人家就是沈阳混出来的。这时,我已经在北京卖了一年的唱2。攒了3一书包毛票-那是卖唱赚来的4。我要去云南,确切地说是去大理5。从北京到昆明,五十个小时的硬座6……

头十个小时,是对云南的憧憬7,想象着那些地名,仿佛摩挲着8口袋里一块块温润的玉石9

十个小时后-这玉石也有点混浊了10,怎么熬时间呢11? 我开始留意周围人的谈话。

斜对面座位上在聊原子弹12藏在哪里,还有三八军,林彪13。我听了一会儿,换个台,后面隔一排在现场传销14,讲金钱成功-人生的境界15。再换个角度,远处,有个姑娘说着她即将见面的男朋友,好像在昆明教书,她买了一水桶的玫瑰花去看他。姑娘说得正陶醉呢16不想水桶漏了,淌了17一车厢的水。

二十个小时后-周围的声音都变远了,有点像喝醉酒的感觉,开始回忆自己看过的某本小说,或者考自己-如前年的今天自己在哪里,在做什么,然后加大难度,五年前,六年前,七年前……有时候,感觉自己某段时间消失了,怎么也想不起来那段日子活了些什么内容。于是,精神头来了18,慢慢地找线索,迂回着手挖脚刨19,朝记忆的盲区匍匐前进20

三十个小时后到贵州21,困得实在受不了了,干脆放下矜持22,躺在车厢过道上,别着头蜷着腿23,那真是安忍如大地24。可是,推小车卖东西的人来了马上要爬起来,走了再躺下,还有上厕所的人从你身上跨来跨去……那时,我的头发已经留长,活了半辈子,没想到头发也可以被人踩。

昆明的梅予酒太好喝了,小饭店太便宜了,一放纵25,几百块钱就花光了,接着到处找酒吧唱歌,未遂26,再不走,真得要饭了。恰巧长沙27有个朋友愿意收留我,就买了一张到怀化的票28,还有大半程的时候我只能逃票了29。平生第一次犯法,非常紧张。

车过怀化累已经失效30,怕查票29,偏偏不来,却在想象中吓唬你。后来,我想到最危险的地方最安全。就主动找上列车员,询问天气情况,问他几点了,问湖南有啥好玩的,问他喜欢啥音乐,问得列车员不耐烦,躲着我好几回,终于活学活用“孙子兵法”31逃到长沙。

过了不久-我在另一次旅程中又撞上了“法律”;

话说我和一个朋友去泰安32,我那朋友是个世界名著狂兼摇滚音乐迷33。一路上,他和我讨论马尔克斯、鲍勃迪伦,荒诞派存在主义34,引得旁边的人侧目而视35。我们下车的时候,突然有个便衣36拦住我的朋友,说要搜查37,不允许他下车。他们在车厢门口争执起来38,我那朋友往站台上冲,警察往车厢上拉,后来又来了几个乘警39,终于把他拉上了车一这时离开车时间已经延误了40半个多小时,最后火车把他拉走了。

我被留在站台上,火车站的警察把我带到候车室;在我的行李里他们发现了一个满是旋钮的陌生仪器41,激动得声音都变了,问这是什么,我说这是吉他用的效果器42,他们不信,于是我给他们现场讲解,哪个钮是干什么的-还插上吉他来了一段,他们才不怀疑了。

过了一会儿,火车上的乘警来电话,说调查过了43,车厢里没人丢东西。问了问周围的乘客,我们在车上说了些什么,大家说,他们说的都是外国人的名字,没听懂。于是警察教育我,尽管排除了你们是小偷的嫌疑44,但是在公共场合45,高谈阔论胡说八道46也是不对的,看你们态度挺好,这次就算了。我那个朋友交了五十元罚款,到下一站才被赶下车。

    

Vocabulaire et traduction III :

   

01 毛宁     Máo Níng : chanteur très populaire né en 1969 à Shenyang,

02 卖唱    màichàng  gagner sa vie en chantant

03       cuán  assembler, ramasser  /  zǎn  mettre de côté, épargner

04       zhuàn  gagner

05 大理    Dàlǐ   ville au nord-ouest du Yunnan (云南)

06 硬座    yìngzuò  sièges ‘durs’ : les billets les moins chers.

07 憧憬    chōngjǐng  aspirer à, désirer ardemment

08 摩挲    mósuō  caresser

09 温润    wēnrùn  doux et humide       玉石yùshí  jade

10 混浊    hùnzhuó  bourbeux, impur

11 熬时间  áo shíjiān  suporter le temps = la longueur du trajet

12 原子弹  yuánzǐdàn  bombe atomique

 

Mao Ning 歌手 毛宁

13 三八军  sānbā jūn  l’armée du 38ème parallèle, délimitant les deux Corées

     林彪       Lín Biāo  haut dirigeant communiste accusé de complot contre Mao et éliminé en 1971 (meurt lorsque son avion s’écrase en Mongolie alors qu’il tentait de fuir en URSS)

14 传销    chuánxiāo  système de vente multiniveau (multi-level marketing)

15 境界    jìngjiè   bornes, limite

16 陶醉    táozuì   grisé, ivre de

17       lòu  fuir            tǎng  goutter

18 精神头  jīngshentóu  vigueur, vitalité, énergie

19 迂回    yūhuí  détourné, sinueux / déborder (ennemi…)  /  wā/páo  creuser, déterrer

20 盲区    mángqū  territoire inconnu, indétectable 匍匐 púfú  ramper, se traîner (à quatre pattes)

21 贵州    Guìzhōu  province limitrophe du Yunnan

22 放下矜持 fàngxià jīnchí  abandonner toute réserve

23 别着头蜷着腿  biézhetóu  quánzhetuǐ   recroquevillé, couché en chien de fusil

24 安忍    ānrěn  supporter paisiblement les difficultés et être en paix avec soi-même

     (cf  l’expression  相忍相安 être tolérant et vivre en paix avec les autres)

25 放纵    fàngzòng  être indulgent envers / agir avec licence, sans retenue

26未遂     wèisuì  manqué, raté

27 长沙    Chángshā  capitale du Hunan (湖南) province à l’est du Guizhou     

     恰巧       qiàqiǎo    heureusement

28 怀化    Huáihuà  ville du Hunan proche de la frontière entre Guizhou et Hunan, à environ 400 km à

l’ouest de Changsha.

29 逃票    táopiào  voyager sans payer, resquiller   查票 chápiào  contrôler les billets

30 失效    shīxiào  ne plus avoir d’effet,  ne plus être opérant, en vigueur…

31 活学活用 huóxuéhuóyòng  apprendre sur le tas, par la pratique

 “孙子兵法” Sūnzǐbīngfǎ  « L’art de la guerre » de Sun Zi.

32 泰安    Tài'ān  ville du Shandong

33  ..名著狂   míngzhù kuáng fou de

chefs-d’œuvre…  摇滚音乐迷 yáogǔnyīnyuè mí  fan de musique rock

 

Carte du Hunan

34 马尔克斯 Mǎ’ěrkèsī (Gabriel García) Márquez   鲍勃迪伦Bàobó Dílùn  Bob Dylan

    存在主义    cúnzàizhǔyì  l’existentialisme  荒诞派 huāngdànpài  l’absurde

35 侧目而视 cèmù'érshì  regarder du coin de l’œil, de travers

36 便衣    biànyī  (policier) en civil    搜查sōuchá  fouiller, perquisitionner

37 争执    zhēngzhí  se disputer, se quereller

38 乘警    chéngjǐng  policiers chargés de la sécurité à bord des trains

39 延误    yánwù  avoir un retard de..

40 仪器    yíqì  instrument, appareil            旋钮 xuánniǔ  boutons

41 吉他    jítā  guitare           效果 xiàoguǒqì  appareils pour faire des effets acoustiques   

42 调查    diàochá  enquête

43 嫌疑    xiányí   soupçon, présomption (de…)

44 公共场合 gōnggòng chǎnghè  en public

45 高谈阔论 gāotánkuòlùn  faire de grands discours, pérorer 胡说八道húshuōbādào dire des bêtises

    

Papa m’avait dit que, si je voulais devenir chanteur, je devais prendre modèle sur Mao Ning (1), pour entrer comme lui à la télévision, que tout le monde, à la télé, était de Shenyang. A cette époque-là, cela faisait un an que je vivais de mes chansons à Pékin et j’avais collectionné tout un sac de billets pour des spectacles de Mao Ning. J’eus alors envie d’aller au Yunnan, ou plus précisément à Dali (5). De Beijing à Kunming, j’ai fait cinquante heures de train, en troisième classe…

    

Les dix premières heures, je ressentais encore toute l’excitation d’aller au Yunnan, j’avais dans la tête tous ces noms de lieux, comme si j’avais dans la poche des petits morceaux de jade tièdes et moites.

     

Les dix heures suivantes, le jade commença à se ternir : comment supporter l’insupportable longueur du trajet ? Alors j’ai commencé à écouter ce que les gens racontaient autour de moi. Ceux assis sur les sièges en biais devant moi  parlaient de l’endroit où était cachée la bombe atomique, de l’armée du 38ème parallèle, de Lin Biao (13). Je les ai écoutés un moment, puis j’ai changé, j’ai prêté l’oreille à ce qui se passait à une rangée derrière moi : c’était une scène de vente multiniveau, il était question de succès financier, et des limites imposées par la vie. En changeant encore d’angle d’écoute, j’ai entendu un peu plus loin une jeune fille raconter que, pour aller voir son petit ami qui, semble-t-il, enseignait à Kunming, elle avait acheté un seau d’eau plein de roses. Sa voix était ivre de bonheur, mais elle ne

s’était pas rendu compte que le seau fuyait, et que l’eau gouttait partout dans le wagon.

    

Au bout de vingt heures, le bruit des voix alentour s’estompa ; j’avais la même impression que quand j’ai trop bu : je me suis d’abord remémoré des romans que j’avais lus, ou encore réfléchi à ce qui m’était arrivé,  essayant, par exemple, de me rappeler où j’étais le même jour l’année précédente, et ce que je faisais, puis élargissant le problème aux cinq, six, sept années précédentes… A certains moments, j’avais le sentiment qu’une partie de moi-même était rayée de la carte, car je n’arrivais pas à me rappeler les faits exacts de telle ou telle période de mon existence. Mais, à force de me creuser la cervelle et fouiller dans le passé, je retrouvais peu à peu des indices, et avançais à tâtons dans le territoire obscur de mes souvenirs.

    

Au bout de trente heures, quand le train est arrivé à Guizhou (21), j’avais tellement sommeil que je n’en pouvais plus, j’ai alors oublié toute retenue et me suis simplement étendu en chien de fusil dans le couloir, tranquille comme baptiste. Le seul ennui était le vendeur ambulant qui m’obligeait à me relever, mais je me recouchais dès qu’il était passé, laissant les gens qui allaient aux toilettes m’enjamber…. Je m’étais alors déjà laissé pousser les cheveux depuis un bon bout de temps, sans penser que l’on pourrait me marcher dessus.

    

L’alcool de prunes de Kunming est délicieux, et les petits restaurants ne sont pas chers, j’ai dépensé sans me priver, quelques centaines de yuans, tout l’argent qui me restait, sur quoi j’ai cherché partout des bars où chanter, sans résultat, mais il fallait bien que je mange. Fort heureusement, j’ai un ami à Changsha (27) toujours prêt à m’héberger ; j’ai pu acheter un billet jusqu’à Huaihua (28), mais ce n’était qu’à mi-chemin, il me fallait faire le reste en resquillant. C’était la première fois de ma vie que cela m’arrivait, et j’étais extrêmement nerveux.

    

Une fois passé Huaihua, j’ai commencé à avoir peur d’un contrôle inopiné. Alors j’ai imaginé la chose la plus sûre à faire dans cette passe des plus dangereuses. Je partis à la recherche de l’employé du train  et le bombardai de questions : sur le temps qu’il allait faire, l’heure qu’il était, les distractions possibles dans le Hunan, ce qu’il aimait comme musique, si bien que le type, n’y tenant plus, m’évita ensuite plusieurs fois ; finalement, en mettant ainsi en pratique « l’art de la guerre » de Sun Zi, je finis par arriver à Changsha.

    

J’avais eu un autre problème avec la « loi » peu de temps auparavant. J’étais parti à Tai’an (32) avec un ami qui est un passionné de littérature mondiale doublé d’un fan de musique de rock. En chemin, nous nous sommes mis à discuter de García Márquez,  de Bob Dylan, de l’existentialisme de l’absurde, ce qui nous attira des regards de travers des gens à côté de nous. Au moment de descendre du train, mon ami a été soudain appréhendé par un policier en civil qui l’a empêché de descendre, et a voulu le fouiller. Ils ont commencé à argumenter à la porte du wagon,  et mon ami a tenté de sauter sur le quai, mais le policier l’a rattrapé et l’a fait remonter, sur quoi quelques policiers de l’équipe à bord du train sont arrivés en renfort ; finalement, le train est reparti avec plus d’une demi heure de retard, avec mon ami toujours dedans.

    

J’étais resté sur le quai, et les policiers de la gare m’ont emmené à la salle d’attente ; dans ma valise, ils ont remarqué un appareil qu’ils ne connaissaient pas, avec plein de boutons ; tout excités, ils m’ont demandé ce que c’était ; je leur ai dit que c’était un appareil pour régler le son de ma guitare, mais ils ne m’ont pas cru, alors je leur expliqué à quoi servaient les boutons, et j’ai même branché ma guitare pour leur montrer, alors ils ont été convaincus.

    

Au bout d’un moment, les policiers du train ont téléphoné : ils avaient terminé leur enquête, personne dans le train n’avait rien perdu. Ils avaient aussi demandé aux passagers ce que nous avions dit, et les gens avaient répondu que nous avions dit des mots étrangers et qu’ils n’avaient rien compris. Alors les policiers m’ont fait la leçon : même si nous n’étions plus soupçonnés d’être des voleurs, il n’en restait pas moins qu’il n’est pas correct de se répandre en propos inconsidérés en public, mais, comme notre conduite était bonne, ils passaient l’éponge pour cette fois. Mon copain a quand même payé une amende de cinquante yuans, et n’est descendu qu’à la gare suivante.

    

北京是一个“大锅”1,煮着众多外地来的艺术爱好者,煮得久了,就想跳出去涼快凉快。但“锅”外面荒凉贫瘠2,没有稀奇古怪3的同类交流,那就再跳回来。

2001年,我煮得快窒息了4,就去了火车售票处,我问了许多地方都没票了,问到银川5的时候窗口说有,就买了一张大概是43 次北京开往嘉峪关的6,够远够荒凉。上车后,发现人很少,到最后,可以躺在座位上睡觉。我在银川的光明广场上卖唱,赚得盘缠7,继续向西,到兰州8,在西北师大9卖唱,遇到一个有同性恋倾向10的小伙子,主动帮我订房间,花钱请路边的孩子为我擦皮鞋,请我吃菠萝炒饭11,后发现我非同道中人12,又突然消失了。

坐火车来到西宁13半夜了,西宁火车站候车室空空荡蔼,我正盘算着14下一步去哪里,一个姑娘在我旁边坐下,很有方向性地叹着气,我心咀窃喜15,莫非传说已久的艳遇来了16

那时,火车上总流传着这样的故事:在长途列车上,某姑娘坐在你旁边,她困极了,就下意识地靠在你肩膀上睡着了,你虽然也困,但为了陌生的姑娘能睡好,一天一夜保持坐姿纹丝不动17,等姑娘醒了,马上决定嫁给你。

回到我的现实里我问她是否遇到什么困难,需要帮忙吗? 她说她在西宁打工,老板拖欠18工资,现在身无分文19,要回家,我连忙20拿出卖唱时别人塞到我包里的饼干面包,与她分享21

第二天,我们坐上了去青海湖22的火车。

车上已经能见到念着经的人23,海拔24越来越高,几乎感觉不到身后那个“大锅”的温度了。

我们在哈尔盖25下了车,哈尔盖火车站旁边,只有一个饭店一个旅馆还有一个小邮局。吃饭的时候,我喝了两杯青稞酒,壮胆26,问她能不能做我的女朋友,她说,她有男友了,在兰州上大学,她问我约她来青海湖是否就为了让她做我的女朋友,我心里点了点头,嘴上说不是。

晚上,我们住进厂那个小旅馆的一个双人间,门在里面不能反锁,得用桌子顶上。半夜,有喝醉的人“敲房”,我担心得一夜睡不着,以为住进了黑店27

早起,她说,既然你都把话说明了,两人再一起走就太尴尬了:她也怕对不起28自己的男友。我说,你要去哪?她说想回兰州。

哈尔盖只有两个方向的火车,她去兰州,那我就只好去格尔木了29。我们买了票,我先上车,我想最后拥抱她一下30,说些祝福的话。但上车时,人很挤,她一把把我推上,车门就“咣当”一声关上了:

格尔木,那是通往西藏的路,车厢里,有更多的人在念经。酥油茶的味道31,陌生的站名,晚上,车里很冷,外面是火星一样的茫茫盐湖32,我感到透骨的孤单33。很后悔,干吗偏让她做自己的女朋友,就一路说说话不也很幸福吗?

到格尔木,中国的铁路到头了。

再问前,足几天几夜的长途汽车,是耗牛的道路34、大雪山、那曲草原……这时,我又想念起那个遥远的“锅”了,它是温暖的,可以肌肤相亲的,世俗的,有着人间的烟火。

    

Vocabulaire et traduction IV :

    

01大锅     dàguō  grande casserole, grande marmite

02 荒凉贫瘠 huāngliáng pínjí  désolé, désert et stérile

03 稀奇古怪 xīqíɡǔguài  rare et extraordinaire, formidable

04 窒息    zhìxī  suffoquer

05 银川    Yínchuān : capitale de la région autonome hui du Ningxia

06 嘉峪关  Jiāyùguān : la passe de Jiayu, au

nord-ouest du Gansu, au bout de la Grande Muraille.  

07 盘缠    pánchán   argent de voyage

08 兰州           Lánzhōu   capitale du Gansu

09 西北师大 = 西北师范大学   Xīběi Shīfàndàxué  Université normale du Nord-Ouest

10 同性恋倾向  tóngxìngliàn qīngxiàng  tendance homosexuelle

11 菠萝炒饭 bōluó chǎofàn  riz sauté à l’ananas

12 同道中人 tóngdàozhōngrén  quelqu’un qui a les mêmes goûts, les mêmes intérêts

13 西宁    Xīníng  capitale du Qinghai (青海), à

l’extrême est de la province

 

Carte du Gansu (avec Yinchuan)

14 盘算    pánsuan  calculer, faire le point

15 心咀窃喜 xīnjǔ qièxǐ  rire en son for intérieur

16 莫非    mòfēi   ne serait-ce pas que…       艳遇yànyù  histoire d’amour

17  纹丝不动   wénsībúdòng  totalement immobile

18 拖欠    tuōqiàn  être en retard dans ses paiements

19 身无分文 shēnwúfēnwén  fauché, sans un sou

20 连忙    liámáng  aussitôt

21 分享    fēnxiǎng  partager

22 青海湖  Qīnghǎi hú  le lac Qinghai, à 100 kilomètres à l’ouest de Xining. 

23 念经    niànjīng  réciter ou chanter des prières, ou des chants religieux (bouddhistes)

24 海拔    hǎibá  élévation au-dessus du niveau de la mer

25 哈尔盖  Hā'ěrgài  Hairag  (près du lac)

26 青稞酒  qīngkējiǔ  alcool d’orge du Tibet    壮胆zhuàngdǎn  redonner du courage

27 黑店    hēidiàn  auberge de brigands

28 对不起  duìbuqǐ  ici : avoir des torts envers,  ne pas être digne de

29 格尔木  Gé'ěrmù  Golmud, deuxième ville

 

Carte du Qinghai avec la voie ferrée

du Qinghai ; point de départ maintenant du train pour Lhassa

30 拥抱    yōngbào  enlacer, prendre dans ses bras 祝福zhùfú  souhaits de bonheur

31 酥油茶  sūyóuchá  thé au beurre du Tibet

32 火星    huǒxīng  étincelle /la planète Mars           茫茫盐湖mángmáng yánhú immense lac de sel

33 透骨    tòugǔ  pénétrant (jusqu’aux os), glacial (vent…)  孤单gūdān  seul

34 耗牛的道路  hàoniúde dàolù  une mauvaise route (pour le bétail)

35 肌肤    jīfū  peau         相亲xiāngqīn  bien s’entendre

    

Pékin est une « grande marmite » dans laquelle mijotent une masse de passionnés d’art de tous horizons, mais, après avoir bien mijoté, on a envie d’en sortir pour se rafraîchir un peu. Le problème,

c’est que, à l’extérieur, le paysage est désolé et très pauvre, on ne trouve pas les mêmes possibilités

d’échanges extraordinaires, alors on se dépêche de revenir.

     

En 2001, j’avais mijoté au point d’en être asphyxié, alors je suis allé à la gare acheter un billet, mais il

n’y avait de place pour aucun des endroits où je voulais aller, ce n’est que lorsque j’ai demandé un billet pour Yinchuan (5) qu’on m’a répondu qu’il y en avait, alors j’ai acheté un billet dans ce qui devait être le train 43 allant de Pékin à Jiayuguan (6), destination aussi lointaine et désolée que je pouvais le souhaiter. En montant dans le train, j’ai vu qu’il n’y avait presque personne, j’ai pu m’étendre sur les sièges et dormir jusqu’au bout. A Yinchuan, j’ai chanté sur la place centrale et j’ai gagné suffisamment d’argent pour pouvoir continuer vers l’ouest, jusqu’à Lanzhou ; là, alors que je chantais à l’Université normale du Nord-Ouest, j’ai rencontré un type apparemment homosexuel qui m’a spontanément offert de m’aider à trouver une chambre, a payé un gamin, sur le trottoir, pour qu’il me cire mes chaussures, m’a invité à manger un riz sauté aux ananas, puis, réalisant que je n’avais pas les mêmes penchants que lui, a brusquement disparu.

     

Lorsque mon train est arrivé à Xining (13), il était minuit, et la salle d’attente de la gare était déserte ; alors que je réfléchissais à ce que j’allais faire ensuite, une jeune fille vint s’asseoir à côté de moi et se mit à soupirer de manière appuyée, ce qui m’amusa intérieurement, car on raconte plein d’histoires d’amour de ce genre, dans les trains : tu pars en train pour un long voyage, une fille vient s’asseoir à côté de toi, et, comme elle tombe de sommeil, s’endort en s’appuyant inconsciemment sur ton épaule ; toi, bien que tu aies aussi très sommeil, pour que la fille inconnue puisse dormir tranquillement, tu restes assis nuit et jour sans oser bouger, alors, quand elle se réveille, elle décide illico de t’épouser.

    

Pour en revenir à ce qui me concerne, je lui demandai si elle avait des problèmes, si je pouvais lui être de quelque secours. Elle me répondit qu’elle travaillait à Xining, que son patron n’avait pas payé les salaires depuis un certain temps, qu’elle n’avait plus un sou et voulait rentrer chez elle ; je sortis aussitôt de mon sac des pains et des galettes que les gens y avaient fourrés pendant que je chantais, et les partageai avec elle.

    

Le lendemain, nous avons pris le train pour le lac Qinghai (22). Dans le train, il y avait déjà des gens qui psalmodiaient des prières, et on prenait de plus en plus d’altitude ; je ne ressentais pratiquement plus cette impression de chaleur de la « grande marmite » que j’avais laissée derrière moi.

    

Nous sommes descendus du train à Hairag (25). Là, à côté de la gare, il n’y a qu’un restaurant et une auberge, et un petit bureau de poste. En mangeant, j’ai bu deux verres d’alcool d’orge du Tibet, ce qui

m’a ragaillardi, alors je lui ai demandé si elle ne voulait pas devenir ma petite amie ; elle m’a répondu

qu’elle avait déjà un petit ami, qui étudiait à l’université de Lanzhou, puis elle m’a demandé si je l’avais invitée à venir au lac Qinghai pour lui proposer de devenir ma petite amie ; j’opinai, mais sans dire un mot.

    

Le soir, nous avons pris une chambre double dans la petite auberge ; comme la porte ne fermait pas à clef, j’ai mis la table devant pour la coincer. Une bonne partie de la nuit, des gens ivres sont venus frapper à la porte, j’étais tellement inquiet que je n’ai pas fermé l’œil, j’avais l’impression d’être dans une auberge de brigands.

     

Levée de bonne heure, elle m’a dit que, puisque les choses étaient claires, il serait trop embarrassant de continuer à voyager ensemble : elle craignait aussi de mal se comporter envers son petit ami. Je lui demandai où elle avait l’intention d’aller et elle me répondit qu’elle voulait revenir à Lanzhou. Or, à Hairag, il n’y a que deux directions possibles : si elle allait à Lanzhou, je ne pouvais qu’aller à Golmud (29). Nous avons acheté les billets, et, avant qu’elle monte dans le train, j’avais envie de la prendre un peu dans mes bras, et lui offrir tous mes vœux de bonheur. Mais, au moment de monter, c’était la cohue, elle a tenté de me tirer, mais les portes se sont refermées avec un bruit sec.

     

Golmud, c’est de là qu’on part pour aller au Tibet, et, dans mon wagon, il y avait encore plus de gens qui psalmodiaient des prières. Il y avait une odeur de thé au beurre, des noms de gares inconnus, et le soir, il faisait très froid dans le train ; à l’extérieur, le paysage avait l’air d’un immense lac salé comme sur Mars, et j’ai ressenti en moi-même une immense solitude. Je regrettais énormément de lui avoir demandé de devenir ma petite amie, pourquoi diable avoir fait cela, comme si ce n’était pas un bonheur suffisant d’avoir quelqu’un avec qui parler pendant le voyage. 

    

La voie ferrée s’arrêtait à Golmud. Pour aller plus loin, il fallait partir en voiture pour une équipée de plusieurs jours et plusieurs nuits, par des mauvaises routes, dans des hautes montagnes enneigées…  A ce moment-là, j’ai pensé à cette lointaine « marmite » et à sa douce chaleur, où l’on peut se connaître par le contact des peaux et vivre  dans un monde vulgaire au milieu des fumées des hommes

    

我现在北京的住所离火车道不到一百米,火车在我的听觉里很准时地开来开去,那种声音低沉平缓1,像是大自然里风或树的声音,对于我来说,它们不是噪音2,有着安神静心的作用。

一段时期,我会经常梦见一个小站。好像是在北方的某个城市,梦里的我要在那儿转车,站台整洁干净,好像还下过一场小雨,基本土也没什么工作人员,两排铁栅栏圈起3一条出站的路,有时候梦见自己要在那等半个小时,列车开走了,站台安静得让人想打哈欠。

有时候梦是这样的。由于等车的时间太长,自己就出站到城里转了转,离车站不远有一条河,类似天津的那种海河4。马路上有几辆中巴在招揽客人5,是通往郊区的,在郊区有一个纺织6类的不太好的大学。整个城市的色调是那种浅灰色的,街上的人都平平板板7,很少说话;有时候梦又变了,我在那个城市的售票大厅买票,排着长队,地上踩上去全是黏糊糊的锯末8

清醒后会想为什么老梦见同一个地方,它是不是我曾路过的某个城市? 但在真实的生活里,我的确没去过这个地方。我有时查北方地图,觉得它应该是河南靠山东9的某个小城。

关于火车,还有很多血腥和死亡10在我童年的记忆里,火车道旁是个极为凶险11的地方,经常发生凶杀案11,或者某某人又被压死了。甚至传说,当你走到火午道旁的某处,突然脚就动不了了。这时火车来了,地下就像有只无形的手在死死抓着你……当然讲这些故事的人,都是那些最终脱险12,没有被撞死的人。

在我上小学的时候,辽宁辽阳13出现了一位舍己救人14的少年英雄,好像他叫周云成,跟我名字差一个宇,所以我记得很清楚,在火车快开来的时候,他从火车道上把两个惊慌失措的孩子推到路旁,自己被火车压死了。那是一个英雄模范辈出的时代15,记得老师给我们布置作业16,写学习周云成的思想回报,像他牺牲的时候才十八九岁但过了几年,他就被彻底地忘记了。当我今天想写火车的故事时,才模模糊糊地想起了他。还有一个更早的,叫戴碧蓉17的小姑娘,也是因为从火车下救人,白己失去了左臂左腿,1997年我在长沙酒吧驻唱,从收音机里偶尔听到她的访谈,那时她已经四十多岁,好像是一个普通的工厂工人,失去左臂左腿给她一生带来很多的痛苦和不便。

最后再来说说诗人海子吧18。他于1989326日选择火车结束了自己的生命,现在已经整整二十年了如果他还活着,估计已经成为了诗坛的名宿19,开始发福,酗酒20、婚变,估计还会去写电视剧。站在喧嚣浮躁21的九十年代的门口,海子说,要不我就不进去了,你们自己玩吧,他派自己那本《海子诗全编》,一本大精装22,又厚又硬的诗歌集一一踽踽独行地23走过九十年代,走过千禧年23,一个书店一个书店,一个书房一个书房,一个书桌一个书桌走进新世纪。

    

Vocabulaire et traduction V :

    

01 低沉平缓 dīchén pínghuǎn  profond, bas (voix) et doux

02 噪音    zàoyīn   ici : vacarme, bruit assourdissant

03 栅栏    zhàlan  barrière, clôture         圈起 juānqǐ  enclore, enfermer

04 海河    Hǎi Hé : fleuve de Chine septentrionale qui passe par Pékin et Tianjin et se jette dans le golfe de Bohai.

05 中巴() zhōngbā(chē)   minibus          招揽zhāolǎn  appeler, attirer (les clients 客人) en criant

06 纺织    fǎngzhī  filature et tissage /textile (usine, produits…)

07 平板    píngbǎn  plat et insipide, fade

08 黏糊糊  niánhūhū  gluant, visqueux     锯末jùmò  sciure de bois

09 河南靠山东  Hénán kào Shāndōng  au Henan, jouxtant le Shandong (c’est-à-dire au nord-est)

10 血腥    xuèxīng  sanglant             死亡sǐwáng mort/mourir

11 凶险    xiōngxiǎn  extrêmement dangereux       凶杀案xiōngshā’àn  meutre, homicide

12 脱险    tuōxiǎn  échapper au danger, être sain et sauf

13 辽宁辽阳 Liáoyáng, ville de la province du Liaoning

14 舍己救人    shějǐjiùrén  se sacrifier pour sauver quelqu’un

15 辈出    bèichū  apparaître en masse

16 布置作业 bùzhì zuòyè  donner un devoir

17 戴碧蓉  Dài Bìróng  nom d’une petite fille

18 海子    Hǎi Zi : nom de plume du poète Zha Haisheng (查海生). Il se suicida le 26 mars 1989, à

l’âge de 25 ans, en s’étendant sur la voie ferrée au passage d’un train, à Shanhaiguan. Ses poèmes furent alors publiés et devinrent instantanément célèbres.

19 名宿    míngsù  ancienne célébrité

20 发福    fāfú  prendre du poids    酗酒xùjiǔ  boire, s’enivrer

21 喧嚣     xuānxiāo  bruyant, tapageur 浮躁 fúzào  léger, étourdi

22 精装    jīngzhuāng   livre relié 

22 踽踽独行 jǔjǔdúxíng  solitaire

23 千禧年  qiānxǐnián  millénaire / l’an 2000

    

Maintenant, l’endroit où je vis à Pékin est à moins de cent mètres de la voie ferrée ; le bruit des trains qui vont et viennent résonne régulièrement à mes oreilles, c’est un bruit de fond, très doux, comme, dans la nature, celui du vent ou des arbres, qui ne me semble en rien un vacarme, mais exerce plutôt un effet apaisant sur les nerfs.

    

Je rêve souvent d’une petite gare. C’est, semble-t-il, celle d’une ville dans le Nord ; dans mon rêve, je dois changer de train, le quai est net et propre, on dirait qu’il vient de tomber une petite averse…  Il y a une route qui part de la gare, entre deux barrières de fer ; par moments, je rêve que j’attends depuis une demi heure, le train est parti, le quai est tranquille au point de donner envie de bâiller. 

    

A d’autres moments, je rêve que, comme il me faut attendre le train trop longtemps, je sors de la gare faire un tour dans la ville ; non loin de là, il y a un fleuve, un peu comme le fleuve Hai à Tianjin (4). Sur l’avenue, il y a des minibus qui hèlent les clients ; ils vont dans une banlieue où se trouve quelque chose comme un médiocre institut textile. Toute la ville est d’une teinte grisâtre, dans les rues, les gens sont ternes, et l’on n’en voit guère parler. Par moments, le rêve change : je suis, dans cette ville, au guichet de la gare, pour acheter des billets, il y a une longue queue, et, par terre, on marche sur de la sciure de bois visqueuse. 

    

Quand je me réveille, je me demande pourquoi je rêve toujours de ce même endroit, serait-ce une ville où je suis déjà allé ? En réalité, je n’y ai jamais mis les pieds. J’ai parfois consulté des cartes du  Nord, et je pense que cette ville doit être au Henan, tout près du Shandong.

    

Quant aux trains, j’ai beaucoup de souvenirs d’enfance sanglants et mortels les concernant : les voies ferrées et leurs abords sont des endroits extrêmement dangereux, il y arrive souvent des histoires de meurtres, ou des accidents où des gens se font écraser. Il y a même des gens qui racontent que, lorsqu’on se promène au bord d’une voie ferrée, il arrive soudain qu’on ne puisse plus bouger les pieds ; au moment où un train arrive, on a l’impression qu’une main invisible, sous terre, vous a agrippé pour vous conduire à la mort… Bien sûr, les gens qui racontent ce genre d’histoire ont échappé au danger et sont bien vivants.

    

Quand je suis entré à l’école primaire, on a parlé à Liaoyang (13) d’un jeune héros qui a donné sa vie pour sauver celle de quelqu’un d’autre, il semble qu’il s’appelait Zhou Yuncheng, je m’en souviens très nettement parce que son nom est très proche du mien, à deux lettres près : au moment où arrivait un train, il a poussé sur le bord de la voie ferrée deux enfants qui s’y étaient égarés, mais lui a été écrasé par le train. C’était une époque riche en modèles de héros ; celui-ci a inspiré à notre instituteur un sujet de devoir : écrivez les leçons que vous tirez de la pensée de Zhou Yuncheng ; quand il s’est sacrifié, il n’avait que dix huit ou dix neuf ans, mais, au bout de seulement quelques années, tout le monde l’avait complètement oublié. Aujourd’hui que je veux écrire une histoire sur les trains, son souvenir ne m’est revenu que très vaguement.

    

Il y a une histoire bien plus récente, c’est celle de la jeune Dai Birong : c’est aussi parce qu’elle a voulu sauver quelqu’un qui allait être fauché par un train qu’elle a perdu le bras et la jambe gauches. En 1997, alors que je chantais dans un bar à Changsha, j’ai entendu par hasard à la radio une interview d’elle, elle avait alors déjà plus de quarante ans ; c’était, semble-t-il, une ouvrière ordinaire, et son geste, lui faisant perdre un bras et une jambe, fut pour elle la source de douleurs et de tourments sans nombre pendant toute son existence.

    

Je veux enfin évoquer le poète Hai Zi (18). Le 26 mars 1989, il a choisi le train pour mettre fin à sa vie, cela fait vingt ans au moment où j’écris ; devenu un personnage en vue dans le monde de la poésie, il avait commencé à prendre du poids, à boire, à avoir des problèmes conjugaux, cela pourrait faire un scénario de film télévisé. Au seuil des années 1990, en cette période agitée et futile, Hai Zi a dit que, si lui-même n’allait pas plus loin, nous devions, nous, continuer, et il nous laissait son recueil « L’œuvre poétique de Hai Zi », un livre broché, épais et solide, pour traverser en solitaire les années 90, franchir le seuil de l’an 2000, et, gagnant de proche en proche librairies, bibliothèques et bureaux, investir le nouveau siècle.

 

 

     

韩寒《独唱团》的开首文章

Premier texte de la revue de Han Han Duchangtuan

   
   

   

   

       


 

 

    

 

 

 

     

 

 

 

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