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Zhou Yunpeng 周云蓬

Présentation

par Brigitte Duzan, 13 juin 2015

    

Poète et chanteur populaire, ami de Han Han (韩寒), Zhou Yunpeng est devenu aveugle à l’âge de neuf ans. Selon une légende qu’il a contribué à diffuser, la dernière image qu’il aurait gardée en mémoire serait celle d’un éléphant jouant de l’harmonica avec sa trompe vu lors d’une visite au zoo de Pékin, et c’est ce qui aurait inspiré sa vocation. Chantant les beautés de la nature et la misère du

 

Zhou Yunpeng

monde, il se fait le chantre des pauvres et des opprimés, dénonce les injustices et les catastrophes mal gérées…

     

Il est aussi écrivain, et c’est l’un de ses textes – « Le train vert » (《绿皮火车》) - que Han Han a choisi pour ouvrir le premier numéro (qui devait aussi être le dernier)  de sa revue littéraire Duchangtuan (《独唱团》). Un recueil de ses souvenirs, traduits par Brigitte Guilbaud, est sorti en juin 2015 aux éditions Philippe Picquier sous le titre « Vagabond de nuit » [1].

     

La vie par la lecture

     

Zhou Yunpeng (周云蓬) est né en 1970 à Shenyang (沈阳) dans le Liaoning. Perdant peu à peu la vue à la suite d’un glaucome, il a passé beaucoup de temps sur les routes et dans les trains pour aller consulter des médecins, mais finalement, il est devenu totalement aveugle à Shanghai, et il raconte que c’est une chance pour lui d’avoir perdu la vue après avoir pu voir les splendeurs de cette ville ; ses derniers souvenirs visuels sont liés au ciel de Shanghai, vision nocturne aux lumières éblouissantes.

     

Mais il a quand même continué ses études, en commençant par l’école de Shenyang pour les aveugles, et en  continuant au lycée. Il a étudié très sérieusement, à corps perdu. Il a aussi appris à faire des massages, mais il n’a pas aimé cette activité ; devant les clients allongés, il avait l’impression d’avoir à pétrir de la pâte pour faire du pain ; c’était en outre épuisant, et douloureux pour le dos. Sa passion était la lecture.

     

Zhou Yunpeng, l’homme en colère

 

A part les œuvres de Mao Zedong et des manuels de massage, les livres en braille de la bibliothèque étaient tous des anciens classiques, comme « Le rêve dans le pavillon rouge », mais révisé, avec suppression de toutes les scènes d’amour. Il lisait beaucoup, malgré tout. L’un de ses livres préférés était le recueil d’aphorismes « Les oiseaux de passage » (« Stray Birds ») de Rabindranath Tagore, qu’il connaissait tellement bien qu’il aurait pu en réciter des passages entiers.

     

Il a appris la guitare à quinze ans et a commencé à écrire des poèmes à vingt-et-un. Il est un regret lancinant qui parcourt toutes ses écrits : tout ce qu’il a perdu en perdant la vue, et surtout la capacité de lire librement. Alors, l’une de premières choses qu’il a faites quand il a été suffisamment bon en guitare pour pouvoir donner des cours a été d’en offrir contre des séances de lecture. Et quand on lui lisait quelque chose qui lui plaisait, il faisait stopper la lecture pour le noter en braille.

     

Pour l’aveugle, dit-il, la lecture est une manière de voir la lumière au bout d’un long tunnel. C’est d’elle que naît l’imagination. C’est la raison pour laquelle il a participé au projet « Bulldozer rouge » car il était destiné à promouvoir la lecture chez les enfants aveugles.

     

A la fin de ses études universitaires, cependant, à l’âge de 23 ans, il a été confronté à des choix impossibles : travailler en usine pour 150 yuan par mois, ou rester chez lui et laisser son père lui trouver une épouse. Alors il est parti. Parti sur les routes avec sa guitare pour viatique, en chantant ses poèmes de ce de là, sur des musiques de sa composition. La beauté, chez lui, est d’ordre musical.

     

En 2013, il a acheté une maison à sa mère à Shenyang. Sa mère est ravie. Il a écrit dans un poème : elle a donné le jour à un fils de l’obscurité, et il est devenu une source lumineuse d’espoir.

     

Poète et chanteur populaire

    

Il a pendant longtemps écrit des poèmes et des chansons de dénonciation, de protestation, de colère. Comme la chanson « Enfants de Chine » (中国孩子), écrite en 2007, et devenue la chanson symbole du tremblement de terre du Sichuan – popularisée en anglais sous le titre Chinese Kids :

 

Chinese Kids

    

不要做克拉玛依的孩子,火烧痛皮肤让亲娘心焦 
 
不要做沙兰镇的孩子,水底下漆黑他睡不着 
 
不要做成都人的孩子,吸毒的妈妈七天七夜不回家 
 
不要做河南人的孩子,艾滋病在血液里哈哈的笑 
 
不要做山西人的孩子,爸爸变成了一筐煤,你别再想见到他 

  不要做中国人的孩子 
 
饿极了他们会把你吃掉 

Mieux vaut ne pas être un enfant de Karamay*,

ceux-là ont brûlé vif et laissé leurs mères le cœur brisé

Mieux vaut ne pas être un enfant de Shalan**,

ceux-là n’ont pas trouvé le sommeil au fond des eaux obscures

Mieux vaut ne pas être un enfant de Chengdu,

ceux-là, leurs mères droguéesne rentrent pas des semaines entières

Mieux vaut ne pas être un enfant du Henan,

ceux-là ont le virus du sida qui rit à gorge déployée dans leurs veines

Mieux vaut ne pas être un enfant du Shanxi,

ceux-là, leurs pères ont disparu, transformés en paniers de charbon

Mieux vaut ne pas être un enfant de Chine,

en cas de famine, tu pourrais bien te faire dévorer….

      

* sur la catastrophe de Karamay, voir : www.chinesemovies.com.fr/films_Xu_Xin_Karamay.htm

** Shalan est une ville du Heilongjiang qui fut inondée en 2005 ; les enfants de l’école ne furent pas évacués à temps.

     

La chanson Enfants de Chine

     

Souvenirs d’un enfant aveugle

     

Il s’est calmé, depuis lors, a tempéré ses chansons, il dit qu’on ne peut pas être en colère tout le temps, que la colère ne nourrit pas son homme. Il écrit ses souvenirs d’enfance…

     

Beaucoup de ses écrits relatent les souvenirs du temps où il est devenu aveugle. L’un de ses souvenirs récurrents est la petite maison où vivaient ses parents, dans le quartier de Tiexi (铁西区), celui qu’il décrit dans  « Le train vert » et qui correspond à cette zone « à l’ouest des rails » que Wang Bing (王兵) a pris comme objet d’étude dans son premier documentaire-fleuve [2].

    

On retrouve chez lui le sentiment que décrit aussi Bi Feiyu (毕飞宇) dans son roman Tuina (《推拿》) : le sentiment d’être différent, de ne pas partager exactement le même univers que les voyants. Cependant, il dit aussi que son point fort est d’écrire du point de vue unique d’un écrivain aveugle, sans tenter de le nier ou le cacher, de même que Shi Tiesheng atteint des profondeurs insondables d’émotion et de sensibilité parce qu’il était handicapé. Cependant, pour le lecteur, c’est l’écrivain qui doit primer, et non l’aveugle ou le handicapé.

      

Avec son épouse Lü Yao

 

Il continue à écrire sur le bleu du ciel et le vert des feuillages. Le vert surtout. Comme le train. Comme son épouse Lü Yao (绿妖), elle-même écrivain, qui vient de publier son premier livre. C’est la couleur de ses rêves, dit-il, un vert pâle et lumineux, une couleur pleine d’espoir et d’anticipation.

    

     

    
    

[1] Le recueil comprend « Le train vert », mais dans une version légèrement différente.

    

    

    

    

    

 

 

 

     

 

 

 

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