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Club de lecture de littérature chinoise

Compte rendu de la séance du 16 novembre 2022

et annonce de la séance suivante

par Brigitte Duzan, 20 novembre 2022 

 

Faisant suite à la lecture des contes du Liaozhai de Pu Songling ou « Chroniques de l’étrange » selon la traduction d’André Lévy, la séance du 16 novembre était consacrée à des contes populaires chinois issus de l’oralité :

-     Bambou-vert, anthologie de contes de Chine rassemblés et traduits par Blanche Chia-Ping Chiu, avant-propos de Bernadette Bricout, illustrations de Joseph En-wei Chiu, éditons Corti, coll. « Merveilleux », 2022, 320 p.

Table des matières : https://www.jose-corti.fr/PDF-TEXTES/Bambou-vert-Table.pdf

 

 

Bambou-vert, éditions Corti

 

 

I. Séance du 16 novembre 2022

 

Préambule

 

Dans son introduction à son anthologie, Blanche Chia-Ping Chiu nous offre un brève histoire de la collecte de ces contes, qui a commencé en Chine dans les années 1920, mais s’est développée surtout à partir des années 1980. Comme elle le mentionne, et comme le précise Vincent Durand-Dastès dans l’article qu’il a écrit sur le sujet et que cite Blanche Chiu [1], cette gigantesque collecte de contes populaires a accompagné celle des chansons populaires qui l’a précédée : on se souviendra à cet égard que, dans le film de Chen Kaige « La Terre jaune » (Huang Tudi《黄土地》), sorti justement en 1985, le personnage principal est un soldat de la 8e Armée de route envoyé dans le Shaanbei collecter des chants traditionnels locaux (l’idée étant d’en faire des chants patriotiques destinés à dynamiser le moral de l’armée, mais ceci est une autre histoire).

 

Comme, étant à Taiwan, Blanche Chiu ne pouvait assister à la séance pour présenter elle-même son travail, elle a préparé à l’intention du club de lecture, en complément de son introduction, un diaporama doublé d’un enregistrement de ses commentaires. Comme elle l’explique, elle s’est appuyée sur les deux grands recueils de contes populaires collectés pour en retenir cinquante, choisis pour être « les plus connus, les mieux construits, voire les plus insolites » [2].

 

C’est sur la base de ce préambule, en introduction à l’anthologie, que débute la séance, comme d’habitude par les avis et notes de lecture de chacun.e des présent.e.s.

 

Avis des participants

 

Comme pour Pu Songling, les avis sont partagés entre celles et ceux qui, de manière générale, aiment les contes et celles et ceux qui ne les aiment pas. Mais s’y ajoute la composante de l’oralité pour brouiller un peu les pistes. L’éventail est finalement très large, entre celle qui a retiré un grand plaisir à sa lecture et celle qui a préféré … le diaporama et les pages introductives du livre. Il ressort des avis exprimés quelques critiques et des points positifs nuancés.

 

Critiques générales

 

De manière générale, le recueil est perçu comme austère pour un recueil de contes, et ce dès la couverture, Martine B. faisant remarquer qu’il s’agit des éditions Corti, non de l’Ecole des loisirs. Pourtant, cherchant le livre en bibliothèque, Zhang Lingling l’a trouvé à la BnF… au rayon « littérature pour la jeunesse ». Rire général, mais l’anecdote suscite aussi la réflexion : quel est le lectorat auquel est destiné cet ouvrage ? Ce qui renvoie aussi à la question de l’oralité, gommée dans la version éditée, question qui sera reprise dans la discussion finale.

 

La question qui revient par ailleurs à plusieurs reprises est celle du choix des contes. L’auteure indique bien dans son introduction qu’elle a choisi, à partir des milliers de contes répertoriés dans deux catalogues de base, « les versions considérées comme les plus jolies et les mieux construites » (p. 22), ne se rendant compte qu’à la fin que les cinquante contes ainsi sélectionnés couvraient la quasi-totalité du territoire. Le critère « plus joli et mieux construit » est jugé peu explicite.

 

Il en résulte, pour beaucoup, une impression de flou à la lecture qui n’est pas étrangère au sentiment exprimé plusieurs fois : j’ai tout lu, et tout oublié… Tout oublié faute d’un cadre narratif, d’une atmosphère, auxquels se rattacher. Émergent pour la plupart quelques histoires qui restent en mémoire, ce qui permet de relativiser et nuancer ces impressions générales.

 

Avis nuancés

 

1. Ouvrant le tour de table, Françoise J. rappelle qu’elle est de ceux et celles qui n’aiment pas les contes ; elle a en outre été gênée par l’impossibilité de trouver un ordre ou une logique dans la séquence des cinquante contes. Elle n’y a pas non plus trouvé de spécificités particulièrement « chinoises », les thématiques, et les morales en particulier, lui paraissant représentatives des contes en général : riches punis pour leur avidité, pauvres récompensés pour leurs valeurs exemplaires, femmes condamnées au mariage, jalousies dans les familles et rivalités pour des questions d’héritage, complicité entre l’homme et l’animal.

 

Ces contes lui ont semblé plus proches des fables de La Fontaine que des contes de Grimm. Elle cite pour exemple le conte n° 3 : « Le dragon ingrat » (以恶报善), littéralement « rendre le mal pour le bien » [un vieil homme ayant sauvé un serpent, celui-ci se transforme en dragon qui veut le manger ; le vieil homme en appelle à des juges, mais un jeune homme rencontré en chemin le sauve par son astuce]. Françoise rapproche ce conte de la fable « L’homme et la couleuvre » qui reprend le thème général du conte avec appel à deux juges, un bœuf et un arbre, pour régler le différend [3].

 

2. Dorothée MS est au contraire une inconditionnelle des contes, ceux d’Andersen et de Grimm ont bercé son enfance, et elle continue de les lire, comme dit le faire Blanche Chiu, pour y trouver la paix au milieu des soucis du quotidien. Au début de sa lecture de l’anthologie, cependant, elle a été déçue de ne pas y retrouver des éléments familiers. Ce n’est qu’à partir du conte Bambou-vert, donc à peu près à la moitié du recueil, qu’elle a retrouvé un monde « reconnaissable » ; le conte « Les deux sœurs et le serpent », par exemple (姐妹和蛇, n° 25), lui a rappelé le conte de Grimm « Blanche-Neige et Rose-Rouge » (Schneeweißchen und Rosenrot).

 

En lisant ces contes, elle a compris, dit-elle en souriant, son aversion naturelle pour les serpents. Mais elle a surtout d’autant mieux compris l’attrait exercé par les contes d’Andersen et de Grimm : Andersen était le grand poète du Danemark et les frères Grimm ont publié un dictionnaire de la langue allemande [4]. Dans leurs contes, « c’est leur plume qui enchante », dit-elle.

 

 

Le dictionnaire des frères Grimm

 

 

3. N’aimant pas trop les contes bien léchés « qui s’emboîtent trop bien », U. B, pour sa part, a plus apprécié ceux qui mettent en valeur l’astuce et la débrouillardise d’un personnage, un jeune garçon en général (comme dans « le dragon ingrat » déjà mentionné), avec des solutions improvisées sous l’inspiration du moment. Il a également apprécié les contes en illustration/explication d’un dicton ou proverbe, par exemple :

- « Accrocher une tête de mouton » et vendre de la viande de chien (n° 7) : 挂羊头卖狗肉 [5]

- « Ni femme ni singe » (n° 48), proverbe taïwanais sur la cupidité qui fait tout perdre, comme un homme qui se retrouve au bout du compte « sans femme ni singe » : mǒu wú hóu 無某無猴.

 

Il a aussi été amusé par l’omniprésence des marâtres, une femme » pouvant toujours en cacher une pire », comme cette femme tombant au fond d’une jarre et s’y multipliant à l’infini jusqu’à ce qu’on finisse par briser la jarre, dans le conte « 99 mères » (九十九个娘,  n° 36) dont l’histoire est liée à la dénonciation de la cupidité des personnages.

 

Il trouve dans certains contes un côté schizophrène, comme dans l’histoire de « L’apprenti Shicheng » (石成学艺,n° 28) [6]. Dans l’ensemble, il a apprécié l’imagination, voire la poésie, dans la narration, par exemple :

- dans l’histoire de la méduse condamnée à l’errance pour avoir été victime de l’astuce du lapin (Pourquoi la méduse flotte entre les vagues 海母随潮飘, n° 1) ;

- dans l’histoire du vendeur de boulettes de riz gluant Wang Tangyuan qui réussit à gruger et vaincre Yama, lui aussi à force d’astuces, mais également grâce à l’aide du petit fantôme qu’il avait secouru (Wang Tangyuan contre les fantômes 王汤圆打鬼, n° 19) ;

- ou encore dans l’histoire du bouvier mort de désespoir quand lui est refusée la jeune fille qu’il aime, mais dont le cœur littéralement fossilisé continue de jouer de la flûte (Le cœur qui chante 不见黄娥心不死, n° 43 – littéralement : le cœur continuera de battre tant qu’il n’aura pas revu Huang E). Il a noté avec intérêt la conclusion énigmatique de ce conte.

 

Pour terminer, le dernier conte de l’anthologie lui a semblé aussi drôle qu’un film de Peter Sellers (Le gendre sot 傻女婿, n° 50).

 

4. Z. Lingling a trouvé ces contes dès l’abord très différents de ceux de Pu Songling : écrits dans une langue très simple, liée à leur source orale, ils ne lui ont pas donné le même plaisir de lecture. Il lui a manqué une écriture personnelle, le monde créé par l’écriture. Ceci étant, elle s’est malgré tout intéressée aux histoires et aux personnages très divers, animaux et humains, immortels et fantômes, où même les serpents peuvent être méchants ou gentils.

 

Pour leur côté moralisateur, elle les considère plutôt comme des fables, avec un côté « folklorique » les rattachant au monde chinois. Elle a particulièrement apprécié les histoires expliquant les sources de dictons et proverbes, comme celle de l’esprit serpent aidant les gentils et punissant les méchants (Le serpent dévore le ministre avide ( 人心不足蛇吞相, n° 11).

 

Les sources de ces contes, très diverses, lui ont rappelé des classiques : elle a retrouvé le cochon Zhu Bajie (豬八戒) de « La Pérégrination vers l’Ouest » (Xiyouji西遊記) ; elle a reconnu dans l’histoire de la perle d’immortalité (宝珠,n° 5) un jātaka (vie antérieure du Bouddha)… Elle s’est souvenue des histoires qu’elle a entendues contées quand elle était enfant, et qui étaient surtout des extraits de grands classiques. Mais ces contes l’ont moins touchée aujourd’hui : l’anthologie lui est apparue surtout comme un remarquable travail de recherche académique.

 

5. C’est aussi l’avis de plusieurs autres lectrices qui disent avoir admiré le travail d’érudition, mais (presque) autant oublié que lu [7], n’y trouvant pas un plaisir littéraire.

 

6. Pour Z. Guochuan, au contraire, l’admiration pour le travail de recherche a soutenu l’intérêt et le plaisir de lecture. Elle a trouvé que le classement de l’anthologie, à la BnF, dans le rayon des livres pour la jeunesse pouvait se défendre :

- d’une part, une partie de ces récits sont des contes étiologiques qui donnent une explication imagée à des dictons populaires, ou à la particularité d’un animal (Pourquoi les singes ont les fesses rouges 为何猴子红屁股, n° 44), voire plus généralement, comme beaucoup de contes étiologiques, à la méchanceté de certains hommes.

- et d’autre part, les personnages sont un peu stéréotypés et les histoires sont, pour beaucoup, écrites dans une langue qui s’adresse à un public populaire, et en particulier aux enfants, avec des répétitions qui scandent le texte. Ces contes relèvent des histoires que l’on raconte aux enfants pour les aider à s’endormir.

 

Elle a apprécié la diversité des contes, de provenances très diverses, reflétant des cultures locales et des religions différentes. Les recherches sur les sources permettent de voir l’évolution des récits dans le temps et de tisser des liens rattachant ces contes à la littérature lettrée chinoise. Mais elle a aussi retrouvé dans certains contes de l’anthologie des histoires connues en Occident :

- l’histoire de Gros navet ( 大蘿蔔, n° 23) peut être rapprochée de l’histoire du Petit Chaperon rouge, comme le mentionne le commentaire, mais aussi de celle des Trois petits cochons ;

- « Le dragon ingrat » (以恶报善, n° 3) évoque, outre la fable de La Fontaine citée par Françoise J., « Le Fermier et la Vipère » d'Ésope dont elle est inspirée, mais avec une fin heureuse ;

- « L’âne malin » (鬼驴子,n° 2) est une variante d’un texte tiré du Zhanguoce, ou « Stratagèmes des Royaumes combattants » (战国策) : « Le Renard et le Tigre » (狐假虎威) [8] ;

 

 

Le Zhanguoce (édition moderne)

 

 

- « Li Wei déplace les montagnes » (李伟移山, n° 14) reprend le même motif que « Yu Gong déplaça les montagnes » (愚公移山) tiré du Liezi (列子) [9] ;

 

 

Le Liezi

 

 

- L’atmosphère onirique des « Brus dans les miroirs » (镜子里的媳妇, n° 12) est proche à la fois de celle des contes de Pu Songling et des contes de fées.

 

7. N’ayant pu avoir l’anthologie à temps, M. Ruochen a fait, lui, un travail de recherche sur internet de textes en chinois à partir de la table des matières de l’anthologie. Il en a trouvé dix correspondant à des contes sélectionnés par Blanche Chiu, avec des variations selon les régions, essentiellement Fujian, Henan et Shandong. Comme répondant aux regrets des lectrices de ne pas avoir de repères pour se souvenir des contes qu’elles avaient lus, il les a divisés en quatre catégories :

- les contes opposant deux personnages, souvent des frères, l’un gentil et honnête, et l’autre méchant et cupide, les deux défauts étant liés – l’honnêteté et la sagesse méritant récompense, la méchanceté cupide entraînant punition. Mais, ajoute-t-il, la récompense est souvent obtenue trop facilement pour qu’elle puisse avoir vraiment valeur d’exemple.

- les contes valorisant l’astuce, gagnante à tous les coups. Il cite en exemple l’histoire de la jeune fille et la mère ourse (人姑娘与人熊婆婆, n° 18) où la jeune orpheline sur le point d’être attrapée par la mère ourse est sauvée par un faucon.

- les contes décrivant les efforts déployés par un jeune homme pour trouver une femme bonne et vertueuse afin de l’épouser, ce qui semble un véritable défi. Exemple : la Paludine (田螺姑娘, n° 24). Conte qui montre, ajoute-t-il encore, que les bonnes cuisinières ont un atout.

- les contes expliquant un proverbe ou un idiome. Outre les contes déjà cités, il donne encore l’exemple de l’histoire du voleur d’aiguilles (La fin d’un voleur d’aiguilles 偷针的下场, n° 49). Ce conte illustre une histoire pour enfants très connue qui a donné le dicton chinois : « qui enfant vole une aiguille, plus tard de l’or volera » (小时偷针,大时偷金”ou “小时偷针,长大偷金). Ce qui correspond à notre diction « Qui vole un œuf vole un bœuf. »

 

8. Martine B. a beaucoup aimé ces contes. Mais, après les avoir lus une première fois, elle avait beaucoup oublié de cette première lecture. Elle les a donc relus, et cette fois en faisant un travail de classement semblable à celui de M. Ruochen, mais plus exhaustif, pour tenter de mieux les garder en mémoire. Au fur et à mesure de sa lecture, elle a dressé un tableau des cinquante contes classés en quatre colonnes selon :

- les lieux : forêts, montagnes, terres arides voire désertiques

- les personnages – parmi lesquels elle a noté beaucoup de candidats aux examens impériaux, comme chez Pu Songling, mais ici, une fois reçus, prônes à la tentation de l’ambition menant à l’avidité.

- les caractères : vertus telles que honnêteté, innocence (dont ruse) ; vices tels que corruption, cupidité…

- les morales.

 

Elle a retrouvé dans ces contes une morale planétaire (comme le dicton du conte 49 déjà cité) et des caractéristiques de contes d’enfants, et en particulier la répétition comme figure narrative, dont elle donne des exemples :

- dans le conte n° 8 (L’Esprit du porc 猪哥精) : vieille mère, pourquoi pleurez-vous ?

- dans le conte n° 18 (La jeune fille et la mère ourse 人姑娘与人熊婆婆) : je ne suis pas libre aujourd’hui, la prochaine fois peut-être !

 

Dans le conte 22 (Les Esprits de tigre 老虎精), elle a apprécié l’utilisation des chants alternés des joutes amoureuses populaires, au chant des tigres répondant celui des jeunes filles [10]. Chants alternés également dans le conte 27 (L’enfant-crapaud 蛤蟆娃), la voix triste du petit crapaud ayant pour effet d’émouvoir la jeune beauté du village qui lui répond en chantant d’une voix de rossignol [11].

 

Elle a beaucoup apprécié l’article de Vincent Durand-Dastès « La Grande muraille des contes » cité par Blanche Chiu dans son introduction, pour l’historique détaillé qu’il dresse de la collecte et de la publication de ces contes en Chine (voir note 1). En regrettant comme il le fait lui-même que l’on ne perçoive plus dans ces contes de traces d’oralité.  

 

Commentaires et réflexions en conclusion

 

C’est tout particulièrement ce sujet qui a fait l’objet de la discussion en fin de séance. Les contes de l’anthologie ont été traduits en français de textes qui avaient déjà été « traduits » en putonghua à partir de récits collectés dans différentes régions, le plus souvent dans des dialectes locaux. Or, comme le dit bien Vincent Durand-Dastès dans son article « La Grande muraille des contes » :

« On est ainsi frappé par l’absence [12] … de la mention d’enregistrements sonores ou vidéo.  Dans un article de 2010, Wan Jianzhong, directeur du centre de recherche en études folkloriques et anthropologie culturelle de l’Université normale de Pékin, et qui fut l’élève d’un des maîtres d’œuvre de la collection, nous rappelle à ce sujet que "la prise de notes manuscrites" (bilu 笔录) était alors, dans la plupart des régions couvertes, "le principal, voire le seul mode de collecte des histoires" »

 

Et, ajoute-t-il, si certains volumes comportent bien un glossaire de « termes dialectaux » (fangyan huishi 方言汇释), la transcription en sinogrammes n’en rend qu’imparfaitement la sonorité – et, peut-on ajouter, pas seulement la sonorité.

 

On est frappé de constater, d’après les riches notes et commentaires qui figurent à la fin de chaque conte de l’anthologie, que ceux-ci ont des origines géographiques très variées, relevant pour beaucoup de cultures non han d’une grande diversité. L’origine est bien mentionnée, mais le conte lui-même en porte rarement la marque. Le passage par le putonghua, avant la traduction en français, a contribué à lisser et homogénéiser les textes [13].

 

Il nous manque par ailleurs l’art du conteur pour leur donner vie. Les grands récits classiques ont évolué peu à peu, en grande partie grâce à l’apport des conteurs, en interaction avec leur auditoire. Certains films leur rendent hommage, par exemple « La vie sur un fil » (《边走边唱》) de Chen Kaige (陈凯歌), d’après une nouvelle de Shi Tiesheng (《命若琴弦》). Conteurs auxquels Mo Yan lui-même a d’ailleurs rendu un hommage personnel dans son discours de réception du prix Nobel.

 

On peut toujours regretter la période bénie où les conteurs passaient de village en village en s’arrêtant sur la place du marché ou la cour d’un temple pour raconter leurs histoires. Cela faisait partie d’un mode de vie rural aujourd’hui disparu. Il nous reste donc les contes comme ceux du Bambou-vert pour tenter de le faire partiellement renaître. D’ailleurs, remarque Zhang Lingling, il y a une émission dédiée aux contes à la télévision chinoise, des contes racontés viva voce par des conteurs. En ce sens, une anthologie comme celle du Bambou-vert remplit un peu la même fonction qu’en leur temps les huaben (话本) pour les « diseurs d’histoires » (说话者).

 

Cette tradition orale prend toute son importance aujourd’hui dans le cadre des efforts de préservation du « Patrimoine immatériel ».

 

À cet égard, on peut citer le projet  de l’Inalco « Emprunter un conte chinois vivant » visant à permettre, au lieu d’emprunter un livre de contes à la bibliothèque, d’ « emprunter » un conteur qui en raconte un.

 


 

II. Séance suivante, le 14 décembre 2022

 

Cette séance sera consacrée au roman « Ancienne capitale » (《古都》) de l’écrivaine taïwanaise Chu Tien-Hsin (朱天心) dont la traduction est récemment parue, en l’accompagnant de deux œuvres qui lui font écho. Pour compléter un tableau des « sœurs Chu », à la lecture de ce roman on pourra par ailleurs joindre celle de nouvelles, de Chu Tien-hsin et de sa sœur, parues dans deux anthologies de littérature taïwanaise.

 

Propositions de lecture :

 

- Ancienne capitale《古都》de Chu Tien-Hsin (朱天心), trad. Angel Pino et Isabelle Rabut, Actes Sud, coll. « Lettres taïwanaises », avril 2022, 192 p.

Et en lien avec ce roman :

o    Kyôto《古都》de Yasunari Kawabata, trad. Philippe Pons, Le Livre de Poche, 1987, 192 p.

o    Un automne à Kyôto, de Corinne Atlan, Albin Michel, 2018, 306 p.

 

- Les nouvelles :

o    « Le dernier train pour Tamsui » (1984), « Je me souviens » (1987) et « Le chevalier de la Mancha » (1994) de Chu Tien-Hsin (朱天心), et éventuellement « Plus de paradis » (1982), « La cité de l’été brûlant » (1987) et « Le bouddha incarné » (1990) de Chu Tien-wen (朱天文), dans l’Anthologie de la famille Chu, trad. Isabelle Rabut/Angel Pino, Christian Bourgois, coll. « Lettres taïwanaises », 2004.

o    « Dix-neuf jours du nouveau parti » (新黨十九日》) de Chu Tien-Hsin (朱天心) et éventuellement Splendeur fin de siècle (《世纪末的华丽》) de Chu Tien-wen (朱天文), trad. Angel Pino et Isabelle Rabut, dans l’anthologie Félix s’inquiète pour le pays et autres nouvelles taïwanaises, Anthologie historique de la prose romanesque taïwanaise moderne, vol. 4, You Feng, 2018, pp. 193-253.

 


 


[1] « La grande muraille des contes, une collecte géante de littérature populaire en Chine à la fin du XXe siècle et sa publication » de Vincent Durand-Dastès disponible en ligne sur HAL (lien donné en note p. 27) :

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01055915/document

On notera (pp. 20-21 de cette étude) que la distinction subtile entre légende chuanshuo 传说 et conte gushi 故事 ne semble pas toujours nettement établie. On pourrait peut-être dire que le conte tient plutôt de l’anecdote ou de traditions régionales voire locales.

[2] Anthologie sur laquelle on pourra lire en complément l’article du 18 avril 2022 de Dominique Goy-Blanquet dans En attendant Nadeau :

https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/04/18/contes-bambou-vert/

[3] On pourra d’ailleurs apprécier l’art du conteur dans cet enregistrement de la fable dite par Fabrice Luchini :

 

 

 

[4] Le Deutsches Wörterbuch, en 32 volumes publiés entre 1854 et 1961, histoire de la langue allemande qui retrace l’histoire de chaque mot, illustrée de citations. Il est d’ailleurs intéressant de voir que ce projet linguistique et philologique, entrepris en 1838, avait pour but d’éveiller le sentiment d’appartenance à une communauté nationale à travers une langue commune, à un moment où l’Allemagne n’était pas encore un territoire unifié politiquement. En ce sens on retrouve la langue au centre de la politique nationale comme dans beaucoup d’autres pays, et comme dans le cas du putonghua pour la Chine.

[5] Version rap à défaut de conteur :

 

 

 

[6] Littéralement « qui apprend un artisanat/un métier d’art ».

[7] Dont deux étaient absentes à la séance.

[8] Histoire à l’origine d’un chengyu (成语故事) illustrée en dessin animé pour les enfants.

[9] Classique taoïste du 5e siècle avant J.C. qui se présente comme un recueil de fables et d’aphorismes.

[10] Ce conte rappelant en outre dans sa morale finale l’histoire du serpent blanc : on a connu dans le passé, dit le chasseur admonestant les deux jeunes filles, un homme séduit par une femme serpent, voilà qu’aujourd’hui ce sont deux tigres sous les dehors de deux beaux jeunes gens qui ont failli vous dévorer… Il faut se méfier des apparences.

[11] Le petit crapaud se transformant en beau jeune homme grâce aux larmes versées sur son sort, le conte rappelle aussi l’histoire de La Belle et la Bête.

[12] Sauf exceptions mentionnées plus loin.

[13] Question qui se retrouve aujourd’hui posée de plus en plus en littérature contemporaine, les écrivains cherchant à retrouver les spécificités dialectales – sinon les sonorités – de la langue de leur région d’origine, en luttant contre l’homogénéisation imposée par le putonghua. C’est encore plus vrai au cinéma où le putonghua a été imposé pendant longtemps : des films entiers sont aujourd’hui tournés en dialecte local. C’est l’une des caractéristiques, par exemple, des films de Pema Tseden dont on aura l’occasion de parler lors de la séance qui sera consacrée en janvier à son œuvre littéraire.

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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