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Club de lecture du Centre culturel de Chine

Année 2018-2019

Compte rendu de la cinquième et dernière séance

Annonce du programme 2019-2020

 par Brigitte Duzan, 22 juin 2019

 

Wang Meng aujourd’hui : 《笑而不答》

 

Wang Meng en 1957

 

La cinquième et dernière séance de l’année 2018-2019 du Club de lecture du Centre culturel de Chine, le mardi 18 juin 2019, était consacrée à Wang Meng (王蒙), l’un des grands écrivains chinois de la génération née dans les années 1930. Considéré comme l’un des principaux représentants du courant moderniste de la littérature chinoise au début des années 1980, ministre de la Culture du printemps 1986 à août 1989, il est l’auteur d’une œuvre foisonnante, au style et à l’inspiration constamment renouvelés, mais sans jamais perdre son ton critique et subtilement humoristique.

 

A/ Vaste éventail de lectures

 

Par bonheur, on dispose en français d’un large éventail de traductions de ses meilleurs textes des années 1980-1990. Les œuvres au programme de la séance étaient choisies parmi les recueils de nouvelles et autres textes courts disponibles en traduction française, traduction de Françoise Naour pour les textes publiés chez Bleu de Chine.

- Le Papillon 《蝴蝶》, recueil de six de ses principales nouvelles de 1979-1980 avec une préface de l’auteur (datée janvier 1980) et une note biographique de Qin Zhaoyang, trad. divers, Panda 1982, Editions en langues étrangères, Pékin 2004. Comprenant :

Le papillon 《蝴蝶》 [1] / Le Cerf-volant 《 风筝飘带》/ Les soucis d’un cœur simple 《悠悠寸草心》 / Tant de médiateurs en quelques jours 《说客盈门》 / L’œil de la nuit 《夜的眼》/  

La voix du printemps 《春之声》

- Contes et libelles, Bleu de Chine 1994, réédité en Folio 2012.  Neuf nouvelles initialement publiées à partir de 1988 : Ma le sixième 《马小六》 / Dialectique 《讲演》 / Paroles, parlottes, parleries 《话话话》 / Poétique 《诗意》/ Nec plus ultra 来劲/ Celle qui dansait 《济南》/ Vieille cour si profonde 《庭院深深》 / J’ai tant rêvé de toi 《我又梦见了你》/ Dur, dure le brouet 《坚硬的稀粥》 [2]

 

Le Papillon

Nouvelles parues en Chine en 1991 dans le recueil « J’ai encore rêvé de toi » 《我又梦见了你》

- Celle qui dansait 《跳舞》, dix nouvelles écrites entre 1987 et 1991, Bleu de Chine 2004, 157 p.

Les nouvelles du recueil précédent, plus « Le génie du vin » 《葡萄的精灵》tiré du recueil des Contes de l’ouest lointain.

- Contes de l’ouest lointain 《新疆下放故事》, trois nouvelles du Xinjiang, Bleu de Chine 2002, 183 p.

Trois nouvelles : Ah Mohammed Ahmed ! / Le génie du vin / La petite maison de pisé.

- Des yeux gris clair 《淡灰色的眼珠》nouvelle "moyenne" initialement parue dans la revue Furong en 1983, Bleu de Chine 2002. Nouvelle dans le même registre autobiographique que les trois nouvelles précédentes.

- Les Sourires du sage 《笑而不答——玄思小说》 , anecdotes et réflexions sur sa vie quotidienne, contées sur un mode humoristique typique de l’auteur, Bleu de Chine 2003, 150 p.  《笑而不大》 

 

Contes de l’Ouest lointain

 

Les Sourires du sage

 

Un lecteur a même ajouté encore deux titres à ces lectures :

- l’un en traduction française [3] : Le Salut bolchevique 《布礼》, initialement paru en 1979, réflexions de l’auteur sur son expérience de jeune révolutionnaire idéaliste, croyant aveuglément en Mao et en sa révolution, jusqu’à se sentir trahi ;

- l’autre en chinois : Ma philosophie de la vie《我的人生哲学》, publié en 2003 mais non traduit, formidable manifeste d’optimisme dans la vie, qui commence par ses débuts de jeune communiste [à 14 ans je suis devenu membre du Parti (十四岁加入中国共产党)], se poursuit avec son exil au Xinjiang, avec le chapitre : pourquoi je ne me suis pas suicidé (我为什么没有自杀)… C’est un complément autobiographique qui permet de mieux comprendre l’auteur et son œuvre.

 

La séance a débuté comme d’habitude par un tour de table des membres présents formulant leurs impressions de lecture. 

 

Ma philosophie de la vie

 

B/ Avis des lecteurs

 

Il faut noter d’abord que les membres du Club avaient lu la totalité des œuvres proposées, certains en partie, mais d’autres en rajoutant encore des titres trouvés en librairie ou en bibliothèque. La réaction générale – y compris d’une lectrice qui, ne pouvant pas venir, avait transmis son avis par mail - était celle du plaisir de la découverte, avec des nuances bien sûr : les textes de loin les plus appréciés ont été les « Contes de l’Ouest lointain » et « Les Sourires du sage ».

 

-  Les recueils « Contes et libelles » et « Celle qui dansait » ont été, de manière générale, les moins appréciés. Un lecteur a souligné l’intérêt des préfaces, retraçant l’histoire de chacune des nouvelles en les replaçant dans le contexte de la vie et de la carrière de l’auteur. Une lectrice a dit avoir été « désarçonnée » par les choix de la traductrice, ses mélanges de styles, et surtout agacée par l’emploi récurrent de l’imparfait du subjonctif [4]. En revanche, la traduction de la nouvelle « Nec plus ultra » [5] est apparue comme un tour de force, le texte original étant un exercice de style des plus brillants où Wang Meng se joue des divers sens des caractères en accumulant ruptures syntaxiques et télescopages, plusieurs lecteurs disent, en écho, l’avoir lu en l’imaginant récité en kuaiban (快板), rythmé aux claquettes [6].

 

- « Le papillon » a été apprécié pour l’humour avec lequel est présenté le parcours du « père Zhang » (老张头) devenu « vice-ministre Zhang » (张副部长) au point de se demander qui peut bien être le Zhang Siyuan (张思远) de l’état civil – d’où la comparaison avec l’histoire du papillon du Zhuangzi. Le recueil dans son ensemble a été reçu avec un plaisir de lecture resté modéré.

 

- Les « Contes de l’ouest lointain » en revanche ont fait l’unanimité. Les lecteurs ont été très sensibles à la chaleur humaine, la tendresse (presque une voix féminine, dit un lecteur), la délicatesse des sentiments, sur fond d’histoire et de politique. Le personnage de Mohammed Ahmed, avec toutes ses ambiguïtés, ressort comme un merveilleux passeur, celui qui a introduit l’auteur à la culture, à la langue et à la littérature ouïghoures. Quant au « Génie du vin », comme le souligne un lecteur, c’est un superbe portrait en quelques pages du vieux Mumin et de son épouse Ayïmuhan (chez lesquels était hébergé Wang Meng pendant son « exil »), et en même temps un condensé chaleureux et savoureux de culture et de sagesse populaires ouïghoures.

 

Le dernier récit, « La petite maison de pisé », fait ressentir la profonde nostalgie de l’auteur pour une période de sa vie particulièrement difficile, mais dont le souvenir laisse surtout affleurer les moments de grande chaleur humaine qui lui ont rendu la vie supportable, avec la tristesse de voir les vestiges du passé disparaître sous les coups des bulldozers et le désir de développement et de modernité.

 

A ces Contes, dans le même genre fortement autobiographique, on peut rattacher la nouvelle « Les yeux gris clair », avec son incollable menuisier Maerke et la belle Aliya aux étranges yeux gris clair ; la nouvelle a été qualifiée par un lecteur de passage « du rouge à la sérénité », traduit dans les surnoms par le passage de « Maerke l’idiot » à « Efendi Maerke ».

 

Il est resté de la lecture de ces textes la forte impression laissée par un idéalisme et un humanisme inébranlables malgré tous les aléas de l’histoire et les souffrances subies. Ce qui ne laisse pas d’impressionner c’est la foi persistante de Wang Meng dans les idéaux de la révolution, et la joie de retrouver, au moment de « l’ouverture », la possibilité d’allier à nouveau littérature et révolution. Comme il le dit lui-même, comme une sorte de profession de foi : il faut continuer d’écrire pour s’opposer à la violence et à la bêtise.

 

- Grand succès également, dans un genre différent : « Les Sourires du Sage », recueil de courtes notes dont le titre chinois original est xiao er bu da (《笑而不答》) que l’on pourrait traduire par « un sourire pour toute réponse » ou « un sourire qui en dit long ». Ces « pensées énigmatiques » comme le dit le sous-titre (玄思小说) ont été comparées aux billets d’humeur du journal Le Monde et autres quotidiens ; ce sont des petites réflexions à bâtons rompus sur la vie au quotidien. Une lectrice donne sa méthode pour les savourer au mieux : un texte le matin, un texte le soir, on peut ainsi y réfléchir à loisir et presque inconsciemment toute la journée et pendant la nuit. On peut s’imaginer Wang Meng, entendant cela, … et souriant sans rien dire.

 

C/ Commentaires de Brigitte Duzan en guise de conclusion

 

Ces textes permettent d’aborder l’œuvre et la pensée de l’un des grands écrivains et humanistes chinois du 20e siècle. Malgré seize années d’exil aux confins de la Chine [7], dans cet « ouest lointain » dont il a fini par apprendre la langue et assimiler la culture, et dont la chaleur humaine lui a permis de résister à la tentation du suicide, il a gardé jusqu’à aujourd’hui sa foi initiale dans la révolution, et dans la littérature qui en est pour lui inséparable.

 

Wang Meng s’est moqué toute sa vie du pouvoir et de ceux qu’il enfle et rend fous – pouvoir confondu avec la parole officielle qui le sous-tend, et dont il joue avec un plaisir évident et communicatif. Sous la dérision, cependant, perce la nostalgie, nostalgie du passé, difficile mais cher, cher parce que survivent des souvenirs nimbés de sépia et de poésie, dorés par le recul du temps et le filtre de la mémoire. Ce qui reste, c’est la chaleur humaine qui a permis de vivre.

 

Pas de plainte ni d’amertume, il ne se penche pas sur son passé pour se lamenter : " un homme véritable ne doit jamais se plaindre de la vie, ne doit jamais regarder trop longtemps en arrière, car le passé est le passé ", écrit Wang Meng dans le dernier des « Contes » du Xinjiang ; ce qu’il préserve à jamais dans le souvenir, ce sont les moments de bonheur tout simple : les bavardages avec ses hôtes et leurs amis le temps d’un thé sous la tonnelle, l’atmosphère paisible de la cour devant la petite maison de pisé…

 

C’est cette pensée apaisée qui perce dans ses « Sourires du sage » ainsi que dans sa « Philosophie de la vie ». C’est le dernier volet d’une série autobiographique en quatre volumes dont le premier est paru en 1993, conçue par Wang Meng comme l’histoire spirituelle des intellectuels de sa génération. Après avoir conjuré les fantômes du passé, il ouvre le millénaire avec un manifeste d’optimisme.

 

Sous ce sourire pacifié percent quand même encore des restes d’idéal ancien, celui que laissait percevoir la nouvelle « J’ai tant rêvé de toi », incluse dans les deux recueils « Contes et libelles » et « Celle qui dansait ». L’expression des émotions y tient une place de choix, mais des émotions diffuses comme dans un rêve, ou comme dans un poème. Le récit a été écrit après juin 1989 (et publié en février 1990), et l’on peut se demander si, dans cette femme inaccessible comme celle de Verlaine, égarée dans les nues « comme l’ombre d’un ange », envolée « comme une bulle emportée par le vent » (像一个汽球一样地被风吹去了), on peut voir comme un rêve de liberté, l’attente d’un jour où « les cuivres se mettraient à jouer »  et « leur son clair et pénétrant dissiperait au loin la tristesse et le sourd grondement émanant des ténèbres » (嘹亮的号声吹走了忧愁,也吹走了暗中的叽叽喳喳。).

 

 

Note sur la traductrice 

 

Françoise Naour a dit avoir pour principal but de donner envie de lire. Sa traduction n’est jamais pure traduction mécanique de l’original. On peut critiquer certains de ses choix, mais ils sont clairs et revendiqués : elle est une « cibliste » et non une « sourcière », pour reprendre le jargon des traductologues, c’est-à-dire qu’elle privilégie la qualité et la lisibilité du texte dans la « langue cible » plutôt qu’une fidélité littérale à l’original, le « texte source ». Elle revendique une traduction en empathie avec l’auteur.

 


 

Le programme de l’année 2019-2020

 

L’année prochaine, qui marquera la troisième année du Club, nous allons continuer la découverte d’auteurs et de textes fondamentaux de la littérature chinoise moderne et contemporaine, et ce au cours de cinq séances, d’octobre à juin, comme l’année qui vient de s’achever.

 

Nouveautés

 

Le programme 2019-2020 comportera une grande nouveauté : une bonne partie des meilleurs films chinois étant adaptés d’œuvres littéraires, mais peu connus en tant que tels, le programme de lectures sera doublé, dans la mesure du possible, d’un programme de cinéma pour découvrir des films adaptés des œuvres littéraires programmées. Les projections auront lieu dans l’auditorium du Centre culturel, dans le cadre du programme de projections des samedis après-midi ; elles seront suivies d’une présentation/discussion du film.

 

Par ailleurs, l’expérience cette année ayant montré que certains membres du Club s’intéressent aux textes chinois d’origine, il sera indiqué dans le programme de lectures proposées, toujours dans la mesure du possible, des liens vers les textes originaux disponibles en ligne et/ou des éditions bilingues.

 

Première séance

 

A Cheng (阿城) : mardi 15 octobre 2019

 

Lectures proposées (traductions Noël Dutrait)

- Les trois rois (Le roi des échecs《棋王》/ Le roi des enfants《孩子王》/ Le roi des arbres《树王》), éditions de l’Aube 1998, 243 p.

- Perdre son chemin (《迷路》), recueil de textes du genre « écrits au fil du pinceau » (笔记), l’Aube 1996, l’Aube poche 2001, 118 p.

- Le roman et la vie (《闲话闲说》), essais, l’Aube 1995, l’Aube poche 2005, 215 p.

 

Textes en chinois 

- Les trois rois 《棋王》/《孩子王》/《树王》

https://www.kanunu8.com/files/writer/157.html

- Perdre son chemin 《迷路》

https://site.douban.com/241265/widget/notes/

17461042/note/396053956/

- Le roman et la vie (ou plutôt « Discussions à bâtons rompus ») 《闲话闲说》

https://www.kanunu8.com/book3/7099/index.html

 

A Cheng

 

Adaptations cinématographiques 

-          Le roi des échecs 《棋王》 Teng Wenji 滕文骥 1988

-          Le roi des enfants 《孩子王》 Chen Kaige 陈凯歌 1987

 

Autres auteurs

 

Lu Wenfu 陆文夫

Shen Congwen 沈从文

Xiao Hong 萧红

Ding Ling 丁玲 (sous réserve)

 

 


[1] Texte chinois disponible en ligne : http://www.shuku.net/novels/wangmeng/hudie.html

[2] Textes chinois disponibles en ligne :

Celle qui dansait 济南 http://www.shuku.net/novels/wangmeng/jinan.html

J’ai encore rêvé de toi 《我又梦见了你》 http://www.shuku.net/novels/wangmeng/mengleni.html

[3] Le salut bolchévique 《布礼》, trad. Chantal Chen-Andro, préface Alain Roux, Messidor 1989

Dur, dure le brouet 《坚硬的稀粥》 http://www.shuku.net/novels/wangmeng/hard.html

Autres textes (nouvelles et articles critiques) : http://www.millionbook.com/xd/w/wangmeng/

[4] Ce qui est vrai, en particulier, dans « Dur, dure le brouet ».

[6] Le kuaiban est une forme de parler-chanter où le texte est récité de manière rapide en une sorte de rap rythmé par des claquettes de bambou ou zhuban (竹板). C’était à l’origine l’art des mendiants et des saltimbanques qui s’en servaient pour attirer l’attention du public. C’est ensuite devenu un art populaire, avec des formes régionales et dialectales. On en a un exemple au début de la pièce de Lao She (老舍) « La maison de thé » (Chaguan 《茶馆》). Voir la séquence initiale du film de Xie Tian (谢添) adapté de la pièce (film à la fin de l’article) :
http://www.chinesemovies.com.fr/films_Xie_Tian_La_Maison_de_the.htm

[7] De décembre 1963 à juin 1979 - exil semi-volontaire il est vrai, qui permit à Wang Meng et à sa famille d'échapper aux horreurs de la Révolution culturelle, mais exil quand même, dont on sait combien c’est « un dur métier », comme le rappelle la traductrice Françoise Naour dans la préface du « Papillon », en citant le Turc Nazim Hikmet.

 

 

 

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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