Histoire littéraire

 
 
 
     

 

 

Brève histoire du xiaoshuo, de la nouvelle au roman

VI. Les romans historiques sous les Ming

2. Au bord de l’eau (Shuihuzhuan《水浒传》

2.A Le Shuihuzhuan et ses sources historiques

2.B Les différentes versions du roman

2.C L’influence ultérieure du roman

par Brigitte Duzan, 11 juillet 2025

 

La première édition du Shuihuzhuan date de 1368, c’est-à-dire du tout début de la dynastie des Ming, mais ce n’est qu’une « cristallisation des épisodes » par écrit [1], les origines en sont bien plus lointaines : roman éminemment populaire, il a été élaboré à partir de récits relevant de la tradition orale des conteurs, formant peu à peu à partir des Song un corpus de cycles narratifs dont les héros sont devenus légendaires dès la fin des Song du Sud (voir Au bord de l’eau 2.A. Le Shuihuzhuan et ses sources historiques).

 

 

Le Shuihuzhuan de Shi Nai’an

 

 

Fidèle en quelque sorte à ses origines, le roman n’a pas de version « consacrée » ni d’édition définitive. Il en  existe plusieurs versions, qui vont d’une version courte en 70 chapitres et un prologue à une version longue en 120 chapitres. Le plus ancien récit des aventures de Song Jiang et de sa bande remonte aux débuts de la dynastie des Yuan, mais les prémices de l’histoire se trouvaient déjà dans des ouvrages antérieurs datant des Song du Sud, au 13e siècle.

 

Ouvrages précurseurs

 

- Des traces de l’histoire se trouvent dans les « Propos d’un vieil ivrogne » (Zuiweng tanlu 《醉翁谈录》) de Luo Ye (罗烨), en dix volumes, ouvrage dans lequel sont rassemblés des récits, chansons et poèmes divers, en commençant par une introduction qui les divise en huit doubles catégories selon leurs thèmes.

 

- L’« Éloge de Song Jiang et de ses trente-six compagnons plus une préface » (Song Jiang san shi liu zan yu xu 《宋江三十六赞并序》) de Gong Shengyu (龚圣与) donne un résumé de ce qui était déjà, à son époque (à la fin de la dynastie des Song, au 13e siècle), un ensemble de récits qui circulaient dans le peuple comme Gong Shengyu le dit dans sa préface : « On peut entendre dans les quartiers populaires des histoires relatives à Song Jiang, mais elles ne sont pas dignes de fournir matière à un livre, bien qu’il se trouve des hommes… pour les écrire. » [2]

 

- L’ouvrage de Gong Shengyu est cité dans la quatrième partie (《续集上》) d’un recueil de notes « au fil du pinceau » (biji 笔记) de Zhou Mi (周密) datant du 13e siècle : « Notes diverses de l’année guixin » (Guixin za shi《癸辛雜識》) [3] – Zhou Mi qui était spécialiste des conteurs… et conteuses des Song, dont il a publié des récits dans ses « Vieilles histoires de Wulin » (Wulin Jiushi (《武林旧事》), en 1290.

 

- « Faits négligés de l’ère Xuanhe des Song » (Da Song Xuanhe yishi《大宋宣和遺事》/《大宋宣和遗事》) [4], daté du début de la période mongole.

 

 

Da Song Xuanhe yishi

 

 

L’ouvrage, en dix chapitres, couvre l’histoire des Song des débuts du 11e siècle jusqu’à l’instauration du régime des Song du Sud en 1127. Le 4e chapitre traite des aventures de Song Jiang et de ses compagnons, jusqu’à leur défaite par le général Zhang Shuye (张叔夜). Mais l’histoire est située d’abord dans les monts Taihang (太行山) [5].

 

On peut résumer l’histoire telle qu’elle apparaît dans ce chapitre à partir des grandes lignes de son sommaire [6] :

- Douze hommes sont choisis pour escorter le convoi de Plantes et de Pierres rares et précieuses destinées à l’aménagement du jardin de l’empereur. Au moment de partir, ils se jurent fraternité et font serment de se prêter secours en cas de danger. On trouve là les premiers membres de la « confrérie » de Song Jiang. L’un d’eux, Yang Zhi (杨志), reste en arrière pour attendre un autre, Sun Li (孙立), qui n’arrive pas. Il est bloqué par une forte chute de neige.

- Yang Zhi ainsi bloqué se retrouve bientôt dans le besoin et réduit à vendre son précieux sabre pour assurer sa subsistance. Il tombe sur un jeune voyou qui tente de l’escroquer et il le tue. Sur quoi, il est jeté en prison, chargé de la cangue, condamné à être marqué au visage (tatoué comme un criminel) et exilé à Weizhou.

- En chemin, il tombe sur Sun Li qui part vite prévenir les autres. Ils piègent et tuent l’escorte de Yang Zhi, le libèrent et partent se réfugier sur le mont Taihang où ils deviennent des brigands.

- Au même moment, le grand secrétaire impérial réunit de l’argent et des joyaux divers pour envoyer le tout à la capitale comme cadeau d’anniversaire à son beau-père, le grand-maréchal Cai. Chao Gai (晁盖) et huit de ses hommes réussit à enivrer l’escorte et à s’emparer du trésor. [Chao Gai qui sera ensuite le « roi céleste » (晁天王), père fondateur de la bande de Song Jiang]

- Chao Gai est recherché, son domaine est investi par la maréchaussée, mais, prévenu par Song Jiang qui travaille au yamen, il réussit à s’enfuir. Chao Gai et ses huit hommes vont grossir les rangs des bandits et s’installent dans les marais du Liangshan.

- Quant à Song Jiang, il revient à la sous-préfecture reprendre sa charge, mais il y retrouve son amie Yan Poxi dans les bras d’un autre homme, et de rage tue les deux amants.

- Pour échapper aux poursuites, il va se cacher derrière chez lui, dans le temple de la déesse du Neuvième Ciel. Et là il reçoit un Écrit céleste portant 36 noms et prénoms, octroyé aux « 36 généraux-tigres afin que Song Jiang soit leur chef et devienne le champion de la loyauté et de la justice ».

-  Song Jiang part au Liangshan rejoindre Chao Gai, mais il est mort. Il complète les rangs de sa bande et, avec ses 36 généraux, il déclenche la révolte. Ils partent piller, incendier et tuer dans plus de 80 districts en rapportant d’énormes butins.

- Song Jiang n’oublie pas la grâce qu’il a reçue du Mont sacré de l’Est et va y faire des offrandes.

- La Cour publie un décret invitant Song Jiang et sa bande à se rallier. L’invitation est apportée à Song Jiang par le maréchal Zhang Shuye. Les 36 compagnons rentrent dans l’obéissance loyale à la cour. Ils sont envoyés réprimer les bandits de trois provinces, puis Song Jiang reçoit mission de réduire la rébellion de Fang La (方臘), après quoi il est nommé gouverneur militaire.

 

On a là les principaux épisodes du roman, mais cela reste un amalgame hâtif de récits qui avaient sans doute formé à l’époque des cycles narratifs différents, centrés sur deux zones géographiques distinctes, que laisse deviner le passage soudain des monts Taihang aux monts Liang, le symbolisme des monts Taihang en matière de révoltes populaires ayant été transposé dans celui des marais du Liangshan, sur fond de réalité historique. Il y a aussi de grandes différences dans les personnages, ne serait-ce que dans leur nombre puisqu’il manque les 72 « astres terrestres », lieutenants des 36 bandits principaux.

 

Ce sont les dramaturges du théâtre zaju (杂剧), sous les Yuan, qui vont alors s’emparer de ce récit, ou de certains de ses épisodes, avec des ajouts et des interprétations divergentes. Ces dramaturges étaient des lettrés marginalisés par le pouvoir mongol, remisés au bas de l’échelle sociale, et qui se trouvaient par là-même au contact des couches populaires, écrivant pour elles et dans leur langue, en collaboration avec les acteurs au sein des guildes. Les aventures des bandits des Monts-Liang étaient un matériau de choix, mais surtout celles de héros comme le Tourbillon noir Li Kui (黑旋風李逵) qui prend dans ces pièces une importance prédominante, alors qu’il est juste mentionné comme accompagnant Song Jiang au Liangshan dans les « Faits négligés de l’ère Xuanhe ».  En revanche, le personnage de Song Jiang se présente peu ou prou de la même manière dans toutes ces pièces [7].

 

Le roman tel qu’on le connaît aujourd’hui est ainsi le résultat d’un remarquable travail de collecte et d’organisation de tous ces matériaux épars dont certains provenant de textes, ou cycles narratifs, disparus.

 

« Au bord de l’eau » et ses différentes versions

 

Partant d’une version originale en cent épisodes mentionnée par Lu Xun mais disparue, le Shuihuzhuan se décline en plusieurs versions dont la différence essentielle tient à la part plus ou moins importante attribuée aux luttes menées par Song Jian contre les Liao et divers bandits après son ralliement à l’empereur. Mais on peut dire que c’est à partir de la version de Shi Na’an et Luo Guanzhong (施耐庵/罗贯中) que le texte a été définitivement fixé dans ses grandes lignes, dans le courant du 14e siècle.

 

1) La version de Shi Nai’an et Luo Guanzhong en cent chapitres

 

Cette première version du roman, selon Lu Xun, comporte elle-même deux variantes dont l’une en 115 chapitres, dite « composée par Luo Guanzhong de Dongyuan » (“東原羅貫中編輯”/“东原罗贯中编辑”), version qui, en 1640, fut imprimée avec le « Roman des Trois Royaumes » sous le titre « Chroniques de personnages héroïques » (Yingxiong pu《英雄譜》/《英雄谱》). L’histoire commence avec la libération par erreur des démons, se poursuit avec les rassemblement des 108 brigands dans le marais du Liangshan, le ralliement à l’empereur, la pacification des Liao et des trois révoltes, pour finir avec l’empoisonnement de Song Jiang. Lu Xun en trouve le style gauche, comme s’il s’agissait d’une simple ébauche.

 

Une autre édition, en 100 chapitres, en serait une édition synthétisée, portant le même titre : « Au bord de l’eau, [histoires de] loyauté et de justice » (Zhongyi shuihuzhuan《忠義水滸傳》/《忠义水浒传》). Celle-ci, publiée pendant l’ère Jiajing (1521-1567) par Guo Xun (郭勛), haut fonctionnaires favori de l’empereur, portait la mention « Écrit par Shi Nai’an de Qiantang et arrangé par Luo Guanzhong ». Cette édition est perdue, mais il en existe une version conservée au Japon dans une réimpression du 18e siècle dont l’exergue a été changée en « Compilé par Shi Nai’an et remanié par Luo Guanzhong » (“施耐庵集撰,羅貫中纂修”/ “施耐庵集撰,罗贯中纂修”).

 

On ne sait trop qui sont exactement les deux auteurs, mais Luo Guanzhong a vraisemblablement révisé la version établie par Shi Nai’an, et c’est cette version « Shi-Luo » en 100 chapitres qui est considérée comme la version d’origine du Shuihuzhuan, qui a circulé pendant près de deux siècles sans modification après une réédition en 1589.

 

 

Zhongyi shuihuzhuan (édition illustrée)

 

 

Cette étape de création est marquée par « une idéalisation accrue des motivations de la bande des marais des Monts-Liang ». C’est cette véritable mission morale dont Song Jiang se fait le porte-parole qui est la grande innovation par rapport aux textes antérieurs dans lesquels les brigands n’étaient au fond que de simples malfaiteurs. Les brigands sont élevés au rang de héros chargés de « faire justice au nom du Ciel » (替天行道), avec pour devise les deux caractères inscrits sur leurs bannières : zhōng yì (忠义/), c’est-à-dire « Loyauté et justice ».

 

Cette innovation essentielle contribue à la cohésion du roman en lui donnant une logique interne : c’est celle qui préside à la réunion progressive des 108 héros, et parfois, pour les derniers, à leur intégration au sein de la bande grâce à des stratagèmes pas toujours très honnêtes. Cette cohésion se manifeste aussi bien dans l’art narratif, la formidable individualisation des personnages, et dans la construction de l’ensemble, dont la narration est parfaitement bouclée à la fin. Les petits préambules et beaucoup de poèmes, relevant de l’art des conteurs et de la chantefable, qui distrayaient l’attention du lecteur ont été en outre supprimés.

 

En revanche, Guo Xun a incorporé un passage avant la répression de la révolte de Fang La : la campagne contre les Liao qui, historiquement, n’a eu lieu qu’après. Cela ajoute un élément peu crédible car Song Jiang ne souffre d’aucune perte parmi ses hommes, alors qu’ensuite ses rangs sont décimés et qu’ils sont très peu à revenir à la capitale. C’est ce genre de modification qui va modifier la teneur du texte après la fin des Ming, phénomène que R. G. Irwin a qualifié d’ « amplifications de l’histoire », mais accompagnées de réductions du texte.

 

2) La version en 120 chapitres de Li Zhi

 

C’est un éditeur du Fujian qui commence à altérer le texte, à la fin du 16e siècle. Pour le vendre plus facilement, il abrège, ajoute des interventions surnaturelles, de nouvelles interpolations auxquelles il donne un caractère inédit, celles des campagnes contre les deux autres bandits, Tian Hu (田虎) et Wang Qing (王庆), et surtout des illustrations.

 

C’est à partir de cette version en 110 chapitres que paraît au début du 17e siècle une version en 120 chapitres avec les interpolations ajoutées précédemment, mais avec des corrections stylistiques. Et cette version est due à un original, Li Zhi (李贄), qui démissionna de ses charges officielles en 1581 pour se consacrer à la rédaction de ses ouvrages mais aussi à l’étude du bouddhisme. Il finira par se suicider en prison pour idées subversives en 1602. C’est après sa mort, en 1614, qu’un de ses amis publie sa version qui est la plus longue du roman, en 120 chapitres, intitulée, en reprenant le titre antérieur mais en en soulignant le caractère intégral, « Histoires de loyauté et de justice des Bords de l’eau, livre complet » (《忠義水滸全書》/ 《忠义水浒全书》). Li Zhi a conservé la totalité des épisodes concernant les campagnes contre les Liao et contre les deux bandits Tian Hu et Wan Qing, avant celle contre Fang La. Mais cette version de Li Zhi réintroduit en outre les passages versifiés que Guo Xun avait supprimés, et elle est enrichie de soixante illustrations pleine page.

 

 

La version longue, en 120 chapitres, illustrée

 

 

3) La version en 70 chapitres et un prologue de Jin Shengtan

 

La version longtemps la plus connue est celle de Jin Shengtan (金聖嘆/金圣叹), achevée en 1641. Jin Shengtan était un lettré né à Suzhou en 1608 (ou 1610), à la fin des Ming, et témoin des années chaotiques des débuts de la dynastie des Qing. Il ne semble pas avoir accepté de fonction officielle au début du régime mandchou, préférant se retirer à la campagne et vivre une vie  paisible comme il la dépeint dans l’une des préfaces au Shuihuzhuan[8]. Il devait cependant avoir quelques ennemis dans les milieux autour de l’empereur. En 1661, il se joignit à d’autres lettrés pour protester contre les brutalités d’un magistrat collecteur d’impôts notoirement corrompu ; il fut condamné à mort et exécuté avec ses dix-sept co-inculpés – histoire qui pourrait très bien constituer un épisode du « Bord de l’eau » . C’est après sa mort qu’un cousin fit éditer ses œuvres : deux anthologies et des commentaires.

 

Résolument anticonformiste, il a établi une liste de « Six œuvres de génie » (六才子书) où il mêle des œuvres en langue classique – le Zhuangzi (《庄子》), le Li Sao (《离骚》) de Qu Yuan (屈原), les « Mémoires historiques » (Shiji《史记》) de Sima Qian (司马迁), les poèmes de Du Fu (杜甫) – et des œuvres populaires en langue vulgaire généralement décriées par les lettrés – l’ « Histoire du pavillon de l’Ouest » (Xixiang ji《西厢记》), pièce de théâtre zaju de Wang Shifu (王实甫), et… le Shuihuzhuan qu’il place en cinquième position. Mais la version qu’il en a laissée est une version tronquée : de la version originale Shi-Luo il a supprimé tous les chapitres qui relatent l’amnistie de Song Jiang et de ses compagnons et leur lutte ultérieure contre les Liao et les bandits. Sa version s’arrête brutalement au moment où les 108 camarades sont au complet et célèbrent leur réunion. Il n’est pas question de pardon ni d’amnistie. Jin Shengtan a ajouté un chapitre final (en faisant du premier chapitre un prologue) qui rapporte un rêve de Lu Junyi (卢俊义), bras droit de Song Jiang, annonçant l’exécution de toute la bande.

 

 

Le Shuihuzhuan, cinquième des œuvres de génie

 

 

Il en a publié en 1644 une édition de son roman assortie de commentaires. Il prétendait avoir trouvé une édition ancienne ne comportant que les chapitres 1 à 71, et que c’étaient là, selon lui, les seuls authentiques ; on n’a évidemment jamais trouvé cette édition. La suppression de la fin du roman changeait profondément la signification de l’œuvre et répondait à une intime conviction de Jin Shengtan, dictée sans doute par les circonstances historiques, la Chine du début du 17e siècle étant la proie de bandes de brigands et de rebelles comme Li Zicheng (李自成) qui contribua à la chute des Ming. C’est sans doute son amertume de voir le pays sombrer ainsi qui lui a fait adopter le pseudonyme de Shengtan (圣叹), tiré des « Analectes » de Confucius : le sage qui soupire.

 

Dans son Shuihuzhuan, il n’est plus question de bandits au grand cœur, champions de loyauté et de justice, qui ne se sont réfugiés dans les marais du Liangshan que poussés par la nécessité, parce qu’ils avaient été victimes de la corruption et du népotisme des milieux officiels du régime impérial. Les bandits sont transformés en brigands purs et simples qui ne méritent que la décapitation. Jin Shengtan a donc supprimé du titre les caractères 忠义. Ce qui ne l’empêche pas de professer une immense admiration pour l’œuvre, mais selon des critères esthétiques, en justifiant son travail d’un point de vue littéraire, car il a en outre supprimé des passages versifiés et effectué des corrections stylistiques. Ses commentaires sur la manière de lire le roman, expliquant certaines techniques littéraires, sont toujours aussi intéressants aujourd’hui.

 

C’est cette version courte qui a donné la première traduction du roman en anglais : celle de Pearl Buck, publiée en 1933 sous le titre « All Men Are Equal ». La première traduction de la version longue, par Stanley Shapiro, date de 1981, traduction de référence parue sous le titre « Outlaws of the March ». La traduction la plus complète est la traduction japonaise Suikoden, par Komada Shinji, en trois volumes : c’est la traduction des 120 chapitres, y compris tous les passages en vers et passages interpolés, et avec en outre tout un appareil de notes.

 

La traduction de Jacques Dars, avec elle aussi tout son appareil de notes et commentaires, est un autre monument de sinologie.

 

4) La traduction en 92 chapitres de Jacques Dars

 

Comme l’explique Étiemble dans son avant-propos à l’édition La Pléiade d’ « Au bord de l’eau », la traduction était à l’origine une commande qu’il avait passée à Jacques Dars pour sa collection « Connaissance de l’Orient » chez Gallimard, et il s’agissait à l’origine de la version en 70 chapitres. Mais, lorsque Jacques Dars a choisi de restituer la version longue du roman, le coût en devenait impossible à assumer pour la collection « Connaissance de l’Orient ». Étiemble l’a alors proposé pour la collection « La Pléiade ».

 

Le texte des 70 premiers chapitres est donc celui de Jin Shengtan, qui est considéré comme très beau littérairement. Pour le reste des 22 chapitres, en l’absence d’une édition critique définitive, Jacques Dars a utilisé deux éditions longues, éditées en 1961 et 1975, en choisissant les variantes qui lui paraissaient préférables et en supprimant les passages en vers, comme l’avait fait Jin Shengtan (mais en gardant les poèmes en fin de chapitres). Il a aussi décidé de ne pas traduire les passages reconnus comme étant interpolés : d’abord les chapitres concernant la campagne contre les Liao, puis ceux concernant les deux campagnes contre les rébellions de Tian Hu (田虎) et Wang Qing (王庆), ne gardant que la campagne contre Fang La (方臘). Le roman se termine par un épilogue qui raconte la triste fin de Song Jiang et de ses compagnons qui avaient réussi à survivre aux derniers combats contre Fang La, victimes des ultimes règlements de compte des âmes damnées et ministres pourris de l’entourage de l’empereur.

 

C’est la seule traduction des 70 premiers chapitres plus le prologue qui est éditée dans la collection « Folio », pourtant titrée « Shi Nai-an. Au bord de l’eau », avec pour sous-titre « Version de Jin Sheng-tan »[9].

 

 

2.C L’influence ultérieure du roman

 


 


[1] Comme l’a si bien formulé Jacques Dars dans son introduction à sa traduction du roman (La Pléiade, p. LXV), introduction dont sont tirées les grandes lignes du présent article, Jacques Dars s’étant lui-même aidé de l’analyse réalisée par R. G. Irwin dans son ouvrage « The Evolution of a Chinese Novel : Shui-Hu-Chuan », Harvard-Yenching Institute Studies n° 10, Harvard University Press, 1953.

[2] Cité par Lu Xun au chapitre XV de sa « Brève histoire du roman chinois » (《中国小说史略》) : « La tradition des récits historiques sous les Yuan et les Ming (2) » (第十五篇.元明传来之讲史(下)). Voir texte en ligne. Traduction de Charles Bisotto, Gallimard/Connaissance de l’Orient, 1993.

[4] C’est la première année de l’ère Xuanhe, en 1119, qu’a éclaté la révolte de Song Jiang dans le Shandong. Selon les annales officielles, Zhang Shuye a vaincu l’armée de Song Jiang la 3e année de l’ère Xuanhe (1121) en l’attirant dans une embuscade à l’extérieur de la ville de Haizhou. Song Jiang, vaincu, aurait été décapité.

[5] Là où eut lieu la révolte des Turbans jaunes (黄巾之乱), en 184, sous les Han de l’Est.

[6] Jacques Dars en donne une traduction complète dans l’ introduction à sa traduction du « Bord de l’eau » (La Pléiade, pp. XC-XCIX).

[7] Dont six nous sont parvenues.

[8] Préface attribuée à Shi Nai’an, mais plus vraisemblablement de Jin Shengtan selon R.G. Irwin. Traduite par Jacques Dars dans l’introduction à sa traduction dans la Pléiade (pp. CXIX-CXXII).

[9] La table des matières est claire : https://www.bnfa.fr/livre?biblionumber=31503

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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