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				La 
				littérature féminine en Chine continentale, d’hier à 
				aujourd’hui (1919-2019) 
				IV. La littérature de celles « qui n’existent pas » : une vague 
				souterraine 
				
				
				par Brigitte Duzan, 10 février 
				2019 
				  
				
				
				Dans la littérature chinoise, si les histoires d’homosexualité 
				masculine sont notoires, elles sont inexistantes pour ce qui 
				concerne les femmes. Il faut chercher sous les apparences, entre 
				les lignes et les non-dits, comme pour déchiffrer un poème 
				classique. Qualifier certains récits d’« histoires d’amours 
				entre femmes » relève donc très souvent de l’interprétation, une 
				même nouvelle pouvant donner lieu à des lectures très 
				différentes.  
				
				
				  
				
				
				Dans la littérature féminine moderne de Chine continentale, les 
				récits les plus courants sont des histoires d’amitiés très 
				fortes et de relations exclusives, excluant les hommes, qui 
				renvoient à une longue tradition de « sororité », en particulier 
				entre veuves. Dans la littérature contemporaine, cependant, on 
				trouve quelques nouvelles dont le style et le ton très 
				personnels concourent à faire de ces récits des histoires très 
				subtiles de relations féminines d’où se dégage un sentiment 
				d’infinie tristesse. 
				
				
				  
				
				1.     
				
				
				Période classique  
				
				
				  
				
				
				Dans la littérature classique, à côté de nombreux poèmes 
				classiques célébrant des amitiés masculines fondées sur une 
				connivence dans l’appréciation de l’art et de la poésie, il 
				existe des récits fictionnels dont l’intrigue repose sur une 
				liaison entre deux hommes, le plus souvent dans une relation 
				maître-disciple.  
				
				
				  
				
				-         
				
				
				Amours masculines dans la littérature classique 
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							Dramaturge du 17e siècle et auteur d’un 
							célèbre roman érotique dans la grande tradition 
							classique
							, 
							Li Yu (李漁) 
							a également écrit plusieurs recueils de nouvelles, 
							dont le premier, comportant douze nouvelles, est 
							intitulé « Théâtre du silence » (《无声戏》). 
							Ce sont des nouvelles inspirées d’anecdotes et 
							écrites en langue vulgaire avec l’humour 
							caractéristique de l’auteur. La sixième « pièce » de 
							son « Théâtre du silence » est justement l’histoire 
							d’un riche lettré qui adopte un jeune garçon d’une 
							grande beauté dont il est tombé éperdument amoureux 
							et qu’il « épouse » ; le titre donne aussitôt à 
							l’histoire une connotation classique : « Un homme du 
							genre "mère de Mencius" déménage trois fois pour 
							éduquer son protégé » (《男孟母教合三迁》).
							 
							
							
							  
							
							Li Yu a 
							ajouté une introduction pleine d’humour dans 
							laquelle il offre une sorte de leçon d’histoire sur 
							les   | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Théâtre du silence, rééd. 2018  | 
						 
					 
					
					coutumes 
					homosexuelles (masculines) de l’époque, dont il fait une 
					tradition « du Sud » - le « mode méridional ». L’histoire 
					est donc dans la région du Fujian, et elle est datée : elle 
					se passe sous l’empereur Jiajing des Ming, c’est-à-dire 
					pendant la période 1522-1566. 
					
					  
				  
				
						
							| 
							 
							
							  
							
							Pinhua baojian, éd. 1993  | 
							  | 
							
							 
							
							La tradition semble s’être généralisée par la suite, 
							en particulier dans les milieux de l’opéra de Pékin. 
							Un roman du milieu du 19e siècle exalte 
							l’amour romantique liant des lettrés passionnés 
							d’opéra et des jeunes garçons spécialisés dans les 
							rôles féminins : c’est le Pinhua baojian 
							ou « Miroir précieux pour classer les fleurs » (《品花宝鉴》) 
							de Chen Sen (陈森), 
							où le genre devient une notion floue et instable, 
							les limites entre masculin et féminin apparaissant 
							comme des constructions essentiellement sociales. 
							
							
							  
							
							
							A l’opposé, cependant, on avait également, dans 
							l’opéra traditionnel, des rôles masculins 
							interprétés par des femmes : rôles martiaux ou rôles 
							de lettrés - souvent des femmes déguisées en hommes 
							pour aller passer les examens impériaux qui étaient 
							interdits aux femmes, avec des histoires d’amour 
							inévitables nées de la confusion des genres. 
							L’exemple le plus célèbre est l’histoire de   | 
						 
					 
					
					
					Liang Shanbo et Zhu Yingtai (《梁山伯与祝英台》), 
					adaptée maintes fois en opéra et portée à l’écran
					.
					 
				
				
				  
				
				
				En revanche, les histoires d’amours féminines sont rares, sauf 
				quelques exceptions, d’autant plus intéressantes. 
				
				
				  
				
				-         
				
				
				Une comédie de Li Yu 
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							A côté de ces textes connus et de cette tradition 
							reconnue
							, 
							il est difficile de trouver des histoires du même 
							genre entre femmes, avec deux exceptions, l’une dans 
							les « Contes du Liaozhai » ou
							
							« Chroniques 
							de l’étrange » (《聊斋志异》) 
							de Pu Songling (蒲松龄)
							, 
							l’autre dans une comédie de Li Yu, justement. 
							
							
							  
							
							
							De manière caractéristique, ces histoires ont pour 
							cadre la famille   | 
							  | 
							
							 
							
							.jpg)  
							
							Les contes du Liaozhai  | 
						 
					 
					
					
					traditionnelle, avec une épouse et un certain nombre de 
					concubines. La comédie de Li Yu, « La compagne doucement
					parfumée » ou Lianxiangban (《怜香伴》), 
					en est un parfait exemple. Li Yu y décrit les relations 
					amoureuses entre deux femmes qui nourrissent leurs 
					sentiments réciproques en s’écrivant des poèmes, dans la 
					meilleure tradition lettrée : Cui Jianyun (崔笺云), 
					digne épouse d’un lettré, rencontre, dans le temple où elle 
					est allée brûler de l’encens, la jeune Cao Yuhua (曹语花), 
					de deux ans sa cadette, qui la séduit aussitôt, par son 
					parfum. De retour chez elle, elle en fait l’éloge auprès de 
					son époux et le persuade de prendre la jeune femme comme 
					concubine. Mais le père de Cao Yuhua, furieux, refuse que sa 
					fille devienne concubine de second rang, et fait licencier 
					le mari qui se retrouve privé d’emploi. Mais les deux femmes 
					finiront par l’emporter et se retrouveront unies au sein 
					d’un triangle amoureux qui subvertit les codes habituels des 
					romances du type « jeune lettré-beauté talentueuse ». 
				
				
				  
				
				La pièce a été adaptée 
				en opéra de Pékin, représenté en 1954, puis en opéra kunqu, 
				genre qui se prête parfaitement à cette intrigue s’agissant d’un 
				opéra dont les troupes étaient à l’origine entièrement 
				féminines. 
				  
				
				
				La compagne doucement parfumée, adaptation en opéra 
				kunqu :  
				
				
				
				
				https://www.youtube.com/watch?v=sJHiVdzRA6g 
				  
				
				
				L’opéra a été mis en scène en 2010 par le grand réalisateur 
				hongkongais Stanley Kwan (关锦鹏) 
				, 
				et représenté au Poly Theatre (保利剧院) à Pékin. A la sortie, 
				certains des spectateurs interrogés ont critiqué le caractère 
				avant-gardiste de l’opéra qui ne correspondait pas à leurs yeux 
				au caractère du kunqu, l’un des plus vieux opéras chinois ; 
				l’histoire elle-même, en revanche, a été jugée conforme à 
				l’esprit de l’époque à laquelle elle a été écrite, au milieu du 
				17e siècle 
				
				. 
				La pièce a été reprise en 2016 et 2017.  
				  
				
				-         
				
				
				Des contes de Pu Songling 
				
				
				  
				
				
				Ce triangle familial qui oppose le mari à sa femme et une 
				concubine, liées entre elles, se retrouve dans d’autres 
				histoires jusqu’à la fin de la dynastie des Qing. Il s’oppose à 
				la vision habituelle de concubines rivalisant entre elles pour 
				s’attirer les faveurs du maître de maison. 
				On le retrouve, mais sous une forme originale, dans une nouvelle 
				de Pu Songling, « Madame Shao », où l’épouse est une mégère dont 
				la jalousie maladive a déjà provoqué la mort de deux concubines 
				quand arrive une troisième, toute douce, qui va transformer sa 
				compagne en sœur affectionnée et attentionnée.
				 
				
				
				  
				
				
				D’autres textes de Pu Songling dépeignent des relations 
				privilégiées entre femmes, au sein de la famille ou du proche 
				voisinage. Ce n’est qu’une mince partie de ses quelque cinq 
				cents contes, mais ils sont révélateurs car la caractéristique 
				de l’ensemble est d’être des « contes du fantastique », ou de 
				l’étrange dans la traduction d’André Lévy. Les femmes 
				entretenant des relations intimes avec d’autres femmes, à 
				l’exclusion des hommes, sont donc implicitement présentées comme 
				des êtres « de l’étrange » comme les autres femmes fantastiques 
				de ses contes : renardes, spectres ou immortelles. Chez Pu 
				Songling, ce n’est pas un monde effrayant, mais certainement pas 
				ordinaire.  
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							1/ L’un des contes les plus intéressants, du point 
							de vue de la peinture des relations entre femmes, 
							est « Feng Sanniang » (《封三娘》), 
							l’histoire de la troisième fille de la famille Feng
							. 
							La narration commence par la rencontre de Feng 
							Sanniang avec Fan Shiyiniang (范十一娘) 
							lors d’une visite dans un monastère de femmes. Elles 
							se jurent amitié éternelle, Shiyiniang invite Feng 
							chez elle, mais elle l’attend ensuite en vain. Puis 
							Sanniang apparaît un jour, en sautant le mur de la 
							résidence des Fan, et reste avec elle, en secret, 
							pendant six mois. Insultée par le frère de 
							Shiyiniang qui l’a découverte, elle s’enfuit.   | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Feng Sanniang, adaptation en 
							lianhuanhua  
							
							(bande dessinée), dernier épisode 
							(72)  | 
						 
					 
					
					
					  
				
				
				Quelques mois plus tard, Sanniang revient en annonçant à son 
				amie qu’elle lui a trouvé un mari idéal, un jeune lettré plein 
				d’avenir, Meng Anren (孟安仁) ; 
				mais la mère de Shiyiniang le renvoie car il n’a pas un sou 
				tandis que son père décide de la marier au fils d’une famille 
				fortunée. Désespérée, Shiyiniang se pend, mais elle est ramenée 
				à la vie par Sanniang qui lui fait boire un élixir de sa 
				fabrication. Shiyiniang tente alors de persuader Sanniang 
				d’épouser elle aussi Meng Anren, et, comme son amie refuse, la 
				fait boire et violer par Meng en espérant la mettre ainsi devant 
				le fait accompli. Mais Sanniang indignée la quitte, lui révélant 
				qu’elle est en fait une renarde et qu’elle a été subjuguée par 
				sa beauté, sur quoi elle disparaît… 
				
				
				  
				
				
				Les relations entre les deux jeunes filles sont dès l’abord 
				menacées par leur différence de classe, qui justifie les 
				précautions que prend Sanniang pour se cacher dans la chambre de 
				son amie. Mais, quand elle est découverte par la mère de 
				Shiyiniang, celle-ci ne la rejette pas, au contraire, elle 
				l’accueille les bras ouverts comme étant une bonne compagnie 
				pour sa fille, à l’inverse du jeune Meng Anren qui menacerait 
				leur image de famille huppée s’il épousait Shiyiniang. Restant 
				hors de l’institution du mariage, Sanniang est tout à fait 
				acceptable. La nature de ses relations avec Shiyiniang ne 
				dérange personne tant qu’elle n’affleure pas au grand jour.
				 
				
				
				  
				
				
				Pu Songling achève de rendre Sanniang inoffensive en en faisant 
				une renarde, un être d’un autre monde, attiré un moment par un 
				amour terrestre, mais voué à regagner le monde d’où elle est 
				venue. Il y a, en arrière-plan, un contexte taoïste remontant 
				aux récits des Tang empreints de surnaturel, Sanniang déclarant 
				qu’elle se retire pour poursuivre ses pratiques visant à 
				atteindre l’immortalité. Elle est du côté des sentiments (qing
				情) 
				et non du désir physique (yu 欲), 
				distinction qui sera importante dans les nouvelles au 20e 
				siècle. 
				
				
				  
				
				
				En se démarquant de la réalité, Pu Songling adopte un ton 
				distancié et évacue tout érotisme autre que liminal. La comédie 
				de Li Yu est beaucoup plus sensuelle, en évoquant tout de suite 
				le profond émoi causé par le parfum envoûtant qui se dégage du 
				corps de Cao Yuhua. C’est cet aspect d’intime proximité d’une 
				grande sensualité qui est si bien rendu dans l’adaptation de la 
				pièce en opéra kunqu. C’est l’opéra, justement, qui est 
				le mieux à même de traduire les subtiles allusions de la comédie 
				de Li Yu, par la sophistication de sa codification gestuelle et 
				la seule force du regard. 
				
				
				  
				
				
				D’autres contes de Pu Songling représentent des femmes 
				« autres », immortelles ou esprits en mal de réincarnation, dont 
				la particularité est d’être retenues sur terre, comme Feng 
				Sanniang, par leur amour pour une femme ; et c’est souvent la 
				menace des hommes – parfois un viol - qui leur fait quitter le 
				monde terrestre.  
				
				
				  
				
				
				2/ C’est le cas de « Aying » (《阿英》) 
				qui reprend le schéma des liaisons de femmes dans le cercle 
				familial, mais avec une intrigue originale. 
				Aying est un perroquet femelle que son propriétaire a promis en 
				mariage, en plaisantant, au jeune fils d’un ami ; l’oiseau se 
				transforme en une splendide jeune femme qui finit, 
				effectivement, par épouser le garçon, mais tombe aussi amoureuse 
				de sa belle-sœur (l’épouse de son frère aîné). La famille 
				découvre cependant que Aying n’est pas un être ordinaire et a 
				des pouvoirs magiques : elle reprend sa forme de perroquet et 
				s’envole. Son mari et sa belle-sœur la pleurent chacun de son 
				côté. Deux ans plus tard, elle revient et les sauve d’une 
				attaque de bandits, puis elle revient voir sa belle-sœur chaque 
				fois que son mari est absent, jusqu’à ce qu’il la trouve et la 
				viole… Ayant repris sa forme d’oiseau, elle est attaquée par un 
				chat, et sauvée par sa belle-sœur qu’elle quitte après un 
				dernier adieu. 
				
				
				  
				
				
				3/ Une autre variation est celle de « La fileuse » (Jinü
				《绩女》) : 
				une belle immortelle offre à une veuve dont la solitude lui a 
				fait pitié de rester vivre avec elle ; la veuve est subjuguée 
				par son parfum céleste et, le soir, au lit, lui dit regretter de 
				ne pas être un homme… Les deux femmes vivent tranquilles en 
				faisant de superbes travaux de tissage. Mais la veuve a la 
				langue trop longue et attire la curiosité d’un homme qui écrit 
				un poème plein d’allusions sensuelles sur la jeune femme et ses 
				« pieds de lotus ». Se sentant offensée et souillée par le désir 
				de cet homme, elle décide de partir, en s’attribuant la faute de 
				toute l’histoire, pour avoir été la proie de ses émotions.
				 
				
				
				  
				
				
				On a ici un schéma récurrent dans les histoires d’amours entre 
				femmes dans la littérature chinoise jusqu’à aujourd’hui : il 
				s’agit d’histoires éphémères, d’histoires sans suite, 
				inachevées, qui, comme chez Pu Songling, se terminent par la 
				séparation des deux partenaires.  
				
				
				  
				
				-         
				
				
				Un tanci 
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							  
							
							Fleurs nées du pinceau, éd. 1984  | 
							  | 
							
							 
							
							Il est cependant quelques récits écrits par des 
							femmes au 19e siècle, dans une forme 
							hybride entre prose et poésie, la partie poésie 
							étant destinée à être lue accompagnée en musique, 
							d’où le nom de ce genre spécifiquement féminin : le
							tanci (弹词). 
							Il en est trois très célèbres, considérés comme 
							l’expression la plus achevée de littérature féminine 
							sous l’empire, hors poésie. L’un d’eux joint dans 
							une intrigue complexe une renarde aux pouvoirs 
							surnaturels et une relation entre femmes soutenant 
							la résistance au mariage, trait qui va devenir un 
							élément fondamental dans la littérature féminine des 
							années 1920. C’est le Bi sheng hua (《笔生花》) 
							ou « Fleurs nées du pinceau » de Qiu Xinru (邱心如). 
							
							
							  
							
							
							L’histoire est celle de Jiang Dehua (姜德华), 
							troisième fille d’un fonctionnaire à la retraite. 
							Ayant reçu une bonne éducation et fait preuve d’un 
							véritable talent de poète dès l’enfance, elle est 
							promise à son cousin   | 
						 
					 
					
					
					Wen Shaoxia (文少霞), 
					mais des ennemis de son père la désignent pour entrer dans 
					le gynécée de l’empereur. Elle ne peut refuser, mais, en 
					chemin, une nuit, essaie de se pendre. Elle est sauvée par 
					une renarde, qui prend sa place pour aller au palais de 
					l’empereur et lui donne des habits masculins pour échapper 
					aux poursuites. Dehua change de nom et épouse une femme, Xie 
					Xuexian (谢雪仙). 
					Sous son identité d’emprunt, elle passe les examens 
					impériaux et apprend en même temps l’art de la guerre. 
					Quelque temps plus tard, à la mort de l’empereur, une 
					rébellion éclate, elle soumet les rebelles et devient 
					premier ministre. Mais, à la cour, elle est reconnue par son 
					cousin qui révèle son identité. L’empereur ordonne aux deux 
					femmes – Dehua et Xuexian – d’épouser Wen Shaoxia. Dehua 
					obéit à contre-cœur, mais Xuexian refuse. Aidée par la 
					renarde, elle s’engage avec elle dans  r la voie de la 
					recherche de l’immortalité.   
				  
				
				
				Ce tanci est généralement présenté comme un pamphlet 
				contre le mariage traditionnel. 
				Qiu Xinru condamne l’une de ses trois femmes au mariage, mais en 
				sauve sa pseudo-épouse Xuexian, qui poursuit sa vie avec son 
				double la renarde. On a donc un jeu de miroir complexe entre les 
				trois personnages, avec la liaison entre deux des femmes se 
				substituant au mariage. Comme chez Pu Songling, ce sont les 
				pouvoirs de la renarde qui permettent de faire prévaloir la 
				liberté des femmes de vivre entre elles, en s’opposant au 
				mariage auquel elles sont normalement vouées, en corrélation 
				avec une sorte d’ascèse taoïste et la recherche de 
				l’immortalité.  
				
				
				  
				
				
				Sous les Qing, le mariage était comme, dans le passé, une 
				prescription sans échappatoire pour les femmes, qui n’avaient en 
				outre aucun mot à dire sur le choix de leur époux. Chez Pu 
				Songling, comme dans le tanci de Qiu Xinru, elles ont 
				cependant la possibilité de s’en libérer en choisissant une 
				union avec une autre femme, mais grâce à l’entremise d’une femme 
				aux pouvoirs surnaturels, d’essence taoïste. Elles s‘évadent 
				alors dans un monde parallèle, loin du désir masculin.
				 
				
				
				  
				
				
				C’est ce schéma romanesque, imaginé par des plumes masculines, 
				qui forme un arrière-plan aux récits d’amours féminines, écrits 
				par des femmes, quand elles vont émerger sur la scène littéraire 
				dans la foulée du 
				
				
				mouvement du 4 mai. 
				Mais cela reste des textes rares, et qui plus est décriés par 
				les réformistes du début du 20e siècle ; le Pinhua 
				baojian de Chen Sen, en particulier, a été vertement 
				critiqué par Hu Shi (胡适), 
				l’un des grands maîtres à penser de la renaissance culturelle du 
				début du siècle ; une pratique aussi institutionnalisée et 
				entrée dans les mœurs que l’homosexualité masculine est ainsi 
				contestée dans les années 1900-1910 comme appartenant à des 
				déviances d’une certaine élite de la société chinoise sous 
				l’empire, et en tant que telle contraire à l’esprit de 
				modernisation. Il faut y voir un reflet de l’influence des 
				théories occidentales qui se sont alors répandues en Chine. 
				
				
				  
				
				2.     
				
				
				Années 1920-1930
				 
				
				
				  
				
				-         
				
				
				Le contexte 
				
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							L’intérêt suscité par le thème de l’homosexualité au 
							début du 20e siècle dans une Chine en 
							plein bouleversement socio-culturel est apparent 
							dans l’émergence de termes spécifiques pour désigner 
							l’amour entre personnes du même sexe : tongxing 
							lian’ai (同性恋爱),
							tongxing ai (同性爱) 
							et autres variations ; ces néologismes sont créés 
							sous l’influence des ouvrages et romans occidentaux 
							traitant d’homosexualité, et pour les traduire en 
							chinois
							 ; 
							sont créés en même temps les termes pour traduire 
							perversion (perversion du désir : qingyu zhi 
							biantai 情欲之变态), 
							inversion (diandao) ou autres. Les traductions et 
							articles se multiplient, en particulier dans les 
							journaux féminins comme Le journal des femmes 
							(《妇女杂志》)
							. 
							
							
							  
							
							
							Avec ces livres se diffuse une conception (médicale) 
							de l’homosexualité comme perversion, ou inversion, 
							qui n’avait jamais existé en Chine auparavant
							. 
							A cause de la ségrégation entre les sexes résultant 
							de la structure   | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Le Journal des femmes, juillet 1931, 
							numéro spécial consacré  
							
							à la littérature féminine   | 
						 
					 
					
					
					confucéenne de la famille et de la société, la maison étant 
					le domaine spécifique des femmes, et l’espace public à 
					l’extérieur celui des hommes, les liens affectifs entre 
					personne du même sexe étaient courants, y compris entre 
					personnes de statuts sociaux différents : entre épouses et 
					concubines comme dans la comédie de Li Yu, mais aussi entre 
					les épouses et leurs servantes, traits que l’on retrouvera 
					dans la littérature féminine jusque dans les années 
					récentes. 
					
					  
				  
				
				
				Cependant, c’est l’homosexualité masculine qui est visée par la 
				diffusion des conceptions occidentales, non l’homosexualité 
				féminine. Celle-ci, protégée par l’intimité des appartements 
				féminins, n’a jamais fait l’objet de répression, ni même de 
				réprobation. Comme le montrent les contes de Pu Songling, ce qui 
				était vilipendé, c’était le refus du mariage car c’était le 
				pilier de l’institution familiale, donc de la structure sociale. 
				Dans les années 1920, l’homosexualité féminine est même objet de 
				fascination chez les intellectuels chinois. La ségrégation entre 
				sexes existant aussi dans les établissements scolaires, elle y 
				induit des phénomènes analogues à ceux existant au sein de 
				l’espace protégé de la famille ; en 1923, le directeur d’une 
				Ecole normale de filles est critiqué, dans un article paru dans
				Le journal des femmes, pour fermer les yeux sur les 
				pratiques homosexuelles répandues dans son établissement. 
				 
				
				
				  
				
				
				Mais l’atmosphère est dans l’ensemble celle d’un tranquille 
				laisser-faire. Un article traduit du japonais, paru en 1925 dans
				Le journal des femmes (n° 6) sous le titre 
				« Signification nouvelle de l’amour homosexuel dans l’éducation 
				des femmes » (《同性爱在女子教育上的新意义》), 
				avance même une notion d’amour d’ordre spirituel et moral, voire 
				métaphysique, excluant les rapports sexuels jugés avilissants ; 
				l’article est de la Japonaise Toyoko Furuya, et a été cité et 
				analysé dans de nombreux ouvrages.
				 
				
				
				  
				
				
				Les récits très ouverts des nouvelles écrivaines des années 1920 
				sont à considérer dans ce contexte de tranquille laissez-faire, 
				mais en même temps de revendication pour l’émancipation des 
				femmes, et émancipation surtout de la sacro-sainte institution 
				du mariage arrangé. Mais là, l’opposition est nette ; la presse 
				s’élève contre le célibat des femmes, le refus de se marier 
				étant considéré comme rébellion, sinon perversion. Selon 
				certains articles des années 1920, cette rébellion contre le 
				mariage imposé ne peut aboutir qu’à un célibat qui débilite la 
				femme. Contre le mariage, les femmes s’élèvent alors un rempart 
				de « sororité ». 
				
				
				  
				
				-         
				
				
				Les écrivaines et leurs écrits : Lu Yin, Ling Shuhua, Ding Ling. 
				
				
				
				  
				
				
				En 1927, dans une conférence sur la littérature nouvelle en 
				langue vernaculaire, l’écrivain et traducteur Zhao Jingshen (赵景深) 
				tente de faire une analyse de nouvelles comportant des histoires 
				homosexuelles féminines à la lueur des traductions récentes de 
				Freud : à côté d’œuvres d’auteurs masculins, il cite « Le 
				Journal de Lishi » (《丽石的日记》) 
				de 
				
				Lu Yin 
				(庐隐) 
				; en 1930, il redonne sa conférence remaniée en ajoutant la 
				nouvelle de 1926 de 
				
				
				Ling Shuhua (凌叔华) 
				« On dit que ce genre de chose existe » (《说有这么一回事》). 
				Elles restent les deux nouvelles parmi les plus représentatives 
				des années 1920, mais on peut y ajouter un autre récit de Lu Yin 
				et une nouvelle de 
				
				Ding 
				Ling (丁玲) 
				pour compléter le tableau. 
				
				
				  
				
				
				
				1/ Lu 
				Yin  
				
				
				  
				
						
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							Lu Yin, Le journal de Lishi  | 
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							Publié dans le Mensuel de la nouvelle (《小说月报》) 
							en juin 1923, « Le Journal de Lishi » (《丽石的日记》) 
							est le journal tenu par une étudiante qui est morte, 
							publié par la narratrice, qui la connaissait bien. 
							Lishi était amoureuse de l’une de ses camarades 
							d’université, mais celle-ci est mariée par ses 
							parents. Au moment de leur adieux désespérés, elle 
							s’exclame : « Notre vie à deux est impossible… quel 
							dommage que tu n’aies pas revêtu des habits 
							masculins pour venir demander ma main à mes 
							parents. » Mais, quelques temps plus tard, elle 
							écrit à Lishi sur un ton réaliste : « Nous avions 
							une vision puérile de la vie, un amour comme le 
							nôtre ne sera jamais permis par   | 
						 
					 
					
					
					la société. Réveille-toi ! ». Se sentant trahie, Lishi meurt 
					de chagrin. 
				
				
				  
				
				
				L’autre nouvelle de Lu Yin sur le même sujet, publiée la même 
				année, est beaucoup plus connue : « Les Amies du bord de mer » 
				(《海滨故人》) 
				est une sorte d’utopie derrière laquelle se profilent les ombres 
				des amies de Lu Yin à l’Ecole normale supérieure de filles de 
				Pékin : 
				
				Su 
				Xuelin (苏雪林),
				
				
				Feng Yuanjun (冯沅君),
				
				
				
				Shi Pingmei (石评梅). 
				L’histoire est celle d’un groupe d’amies comme elles qui se 
				retrouvent au bord de la mer pour passer un moment ensemble. 
				Lorsque l’une d’elles tombe amoureuse d’un homme, les amies 
				commentent : « Le mariage serait pour elle la ruine de ses 
				talents ». Toutes sont des « femmes nouvelles » typiques de ces 
				années 1920, qui veulent avant tout éviter de se retrouver 
				cloîtrées, vouées à s’occuper d’un mari et à élever des enfants. 
				Elles rêvent de se bâtir une maison au bord de la mer et de 
				vivre là ensemble, pour écrire et poursuivre leur vie 
				d’étudiantes, dont elles ont déjà la nostalgie comme un paradis 
				perdu.  
				
				
				  
				
				
				Elles font partie de celles que l’on appelées alors « le parti 
				des femmes qui refusent de se marier » (不嫁当), 
				ou encore « les femmes qui font du célibat un idéal » (独身主义女子). 
				Elles reprennent une vieille tradition de veuves et d’ouvrières 
				dans la Chine impériale : ouvrières de filatures de Canton, et 
				veuves constituant des communautés unies, libérées du carcan 
				familial. L’aspect sexuel est absent, chez Lu Yin, et c’est un 
				trait récurrent dans ces récits, que l’on retrouvera dans les 
				récits des années 1980. La maison au bord de la mer est un idéal 
				impossible à réaliser où l’amour est essentiellement pur, plus 
				de l’ordre du sentiment que du désir physique car il se 
				distingue de l’amour conjugal ; la sensualité même est à peine 
				esquissée,  
				
				
				  
				
				
				
				
				2/ Ling Shuhua  
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							La nouvelle de 1926 de Ling Shuhua - « On dit que 
							ce genre de chose existe » (《说有这么一回事》) 
							- est beaucoup plus explicite à cet égard, mais en 
							restant un souvenir nostalgique d’amours 
							d’étudiantes. La nouvelle est en fait la réécriture, 
							à la demande de l’auteur, d’un récit écrit la même 
							année par l’un de ses collègues à l’Institut de 
							recherche littéraire (文学研究会) : 
							« Pourquoi est-elle soudain devenue folle ? » (《她为什么忽然发疯了》). 
							
							
							  
							
							
							Le récit reprend l’idée du « Journal de Lishi » de 
							Lu Yin. Il conte aussi l’histoire de deux étudiantes 
							dans un même établissement – le thème des relations 
							homosexuelles en milieu scolaire et universitaire 
							n’est pas rare dans les récits de l’époque. Outre Lu 
							Yin et Ling Shuhua, 
							
							Chen Xuezhao (陈学昭), 
							par exemple, – une autre proche amie de Lu Yin - l’a 
							abordé elle aussi. Mais la nouvelle de Ling Shuhua 
							est beaucoup plus imaginative et tranche sur les 
							récits de ses consœurs par le ton sensuel du sien. 
							
							
							  
							
							
							Elle raconte comment, devant jouer dans le   | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Ling Shuhua, On dit que  
							
							ce genre de chose existe   | 
						 
					 
					
					
					« Roméo et Juliette » de Shakespeare, les deux camarades 
					Yingman (影曼) 
					et Yunluo (云罗) 
					tombent amoureuses l’une de l’autre au cours des 
					répétitions. Elles marchent en se tenant par la main, 
					s’enlacent et s’embrassent, et partagent le même lit dans 
					leur dortoir, sans que personne n’y trouve à redire. Mais, 
					un jour, Yunluo – celle qui jouait Juliette – est rappelée 
					chez elle par sa mère qui veut lui présenter l’homme qu’elle 
					a l’intention de lui faire épouser, un veuf qui a perdu sa 
					femme deux mois auparavant. Yingman lui demande de rester 
					avec elle : « Après tout, dit-elle, les deux institutrices 
					du primaire Chen et Chu vivent bien ensemble depuis cinq ou 
					six ans, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ? » 
					Mais, pendant les vacances d’été, elles repartent chacune 
					dans leur famille. Yingman attend le courrier, mais, après 
					une première lettre, ne reçoit plus de nouvelles. A la fin 
					de l’été, elle revient à l’université, Yunluo n’y est pas. 
					Et un jour elle apprend son mariage, par une camarade dont 
					elle a épousé un beau-frère. En entendant la nouvelle, 
					Yingman perd connaissance. Quand elle revient à elle, elle 
					pousse un soupir… et ainsi s’achève le récit.  
				  
				
				
				A côté de ces récits pleins de nostalgie pour une vie que la 
				société ne permet pas, et qui reprennent le thème de la révolte 
				sans lendemain contre le mariage imposé, les nouvelles de Ding 
				Ling sont d’un ton beaucoup plus sombre. 
				
				
				  
				
				
				
				3/ 
				Ding Ling  
				
				
				  
				
				
				La nouvelle « Pendant les vacances d’été » (《暑假中》), 
				publiée en 1928, est une autre variation sur le thème des amours 
				en milieu universitaire, mais dès l’abord l’atmosphère est 
				lourde. Elle a été écrite pendant une période difficile de la 
				vie de Ding Ling, après son déménagement à Shanghai, au 
				printemps 1928, alors que, avec son compagnon, elle a fondé deux 
				revues et une petite maison d’édition, et qu’il leur faut 
				surtout éponger leurs dettes. Ding Ling écrit à tour de bras, et 
				les deux recueils de nouvelles alors publiés font sensation par 
				leur style et leur ton. 
				
				
				  
				
				
				« Pendant les vacances d’été » se passe dans une école 
				élémentaire pour fille d’une petite ville de province, par un 
				temps chaud et humide. Les institutrices qui enseignent là ont 
				juré de ne pas se marier pour se consacrer pleinement à leur 
				mission éducatrice. Mais, si elles ont pris cette initiative, 
				c’est poussées par les idées d’émancipation des femmes propagées 
				par les intellectuels branchés de la petite ville. Le problème, 
				c’est qu’elles n’ont en fait aucun intérêt pour l’enseignement, 
				et que, maintenant qu’elles vont vers la trentaine, elles 
				regrettent, au fond d’elles-mêmes, de ne pas avoir cherché un 
				bon parti qui leur aurait assuré le vivre et le couvert sans 
				qu’elles aient besoin de continuer à enseigner. 
				
				
				  
				
				
				Elles sont deux couples, mais elles ne cessent de se disputer, 
				et leur humeur est aggravée par l’ennui qui plombe ces vacances, 
				sans les cours pour alléger l’atmosphère. Mais quand ils 
				reprennent, à la fin de l’été, la vie retrouve son cycle 
				déprimant.  
				
				
				  
				
				
				Ding Ling souligne là un problème social : ces femmes sont 
				devenues enseignantes simplement parce qu’elles n’avaient pas 
				d’autre choix. Mais elle montre surtout une profonde défiance à 
				l’égard de l’homosexualité féminine, voire un certain mépris. 
				Elle dépeint ses femmes comme des adolescentes attardées qui en 
				sont restées à des amours de jeunesse dont le feu s’est éteint. 
				Elle ne cache pas la nature sexuelle de certaines de ces 
				relations, mais en en faisant un exutoire faute de mieux, et 
				elle dénonce la domination malsaine exercée par l’une d’elle sur 
				sa consœur plus jeune et plus influençable. La nouvelle, ainsi, 
				est saturée d’un sentiment d’ennui et de frustration. 
				 
				
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							  
							
							Ding Ling, Le journal de Miss Sophie  | 
							  | 
							
							 
							
							De manière significative, elle a été écrite trois 
							mois après l’œuvre la plus célèbre de l’auteure : « Le 
							Journal de Miss Sophie » (《莎菲女士的日记》). 
							Là, l’atmosphère est différente, mais guère plus 
							optimiste, traduisant les difficultés que traverse 
							Ding Ling. Son roman dépeint les conflits intérieurs 
							de la jeune Sophie, ses brusques changements 
							d’humeur, l’ambivalence de ses sentiments et son 
							dégoût des hommes. En fait, Sophie pleure une amie 
							qui s’est mariée et en est morte. Sa seule 
							consolation est d’écrire son journal, adressée à 
							cette amie disparue à laquelle elle continue 
							d’exprimer son amour. Ici aussi, comme dans beaucoup 
							des écrits des écrivaines de la période, on ne peut 
							exclure un certain aspect autobiographique, sachant 
							que Ding Ling s’est inspirée de l’histoire de Qu 
							Qiubai et de son amie Wang Jianhong, morte de 
							tuberculose peu après son mariage…  | 
						 
					 
					
					
					  
				
				
				On a l’impression qu’après cette expérience tragique, les amours 
				homosexuelles féminines n’ont plus lieu d’être dans un monde 
				dominé par les hommes, qui est celui de Ding Ling, et dont elle 
				souffre. En fait, chez elle, c’est tout amour qui est condamné 
				comme également décevant. Deux ans plus tard, son compagnon le 
				poète Hu Yepin est arrêté par le Guomingdang et exécuté. Il lui 
				laisse en legs la révolution en marche. Ding Ling s’engage 
				activement dans la Ligue des écrivains de gauche. En 1932 elle 
				entre au Parti. Elle est arrêtée en 1933, réussit à s’enfuir 
				trois ans plus tard, parvient à rejoindre Mao qui écrit deux 
				poèmes en son honneur. Dans l’un d’eux il célèbre la 
				transformation de miss Littérature (文女士) 
				en général Wu (武将) : 
				opposition éternelle dans la culture chinoise entre le wen
				et le wu, les lettres et les armes. Ding Ling 
				représente la nouvelle littérature qui se fait sur le front, en 
				oubliant les sentiments. 
				
				
				  
				
				
				Il faut attendre les lendemains de la Révolution culturelle pour 
				que l’on retrouve des récits qui reprennent certains thèmes 
				ébauchés par les écrivaines des années 1920, dans un climat 
				d’ouverture semblable, soixante ans plus tard. 
				
				
				  
				
				3.     
				
				
				Années 1980 et suivantes  
				
				
				
				  
				
				
				On peut citer cinq récits, datant des années 1980 à la fin des 
				années 1990, dont la trame repose sur des histoires de 
				femmes sans que l’homosexualité soit textuellement mentionnée 
				dans les deux premiers cas, ce qui a donné des interprétations 
				divergentes, mais sont à replacer dans la ligne directe des 
				nouvelles des années 1920 ; le dernier récit, de 
				
				Yan 
				Geling (严歌苓), 
				est un petit chef-d’œuvre d’une rare subtilité qui construit une 
				histoire d’amour entre deux femmes à partir d’une légende 
				adaptée à l’opéra et sur fond de Révolution culturelle. 
				
				
				  
				
				
				1/ « L’Arche » (《方舟》) 
				de 
				
				Zhang Jie 
				(张洁) 
				
				Dans cette nouvelle 
				datant de 1981, Zhang Jie dépeint les vies de trois femmes qui 
				revendiquent leur indépendance. Ce ne sont plus des Nora 
				promises à la prostitution après avoir quitté leur mari comme 
				l’avait prédit 
				Lu Xun
				en 1923. Les femmes modernes de Zhang Jie sont éduquées 
				et peuvent gagner leur vie. Mais elles souffrent toujours autant 
				d’abus et de discrimination, que l’auteure a déclaré avoir voulu 
				dénoncer. 
				
				  
				
				La première a été 
				envoyée dans les forêts du Grand Nord pendant la Révolution 
				culturelle et en est revenue avec une arthrose qui menace de la 
				laisser paralysée ; son mari a demandé le divorce quand elle a 
				préféré avorter. La seconde est une interprète divorcée qui 
				tente de conserver la garde de son fils, mais qui est l’objet de 
				harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique et sombre 
				dans la dépression. La troisième a quitté son mari sans être 
				divorcée ; après avoir été assistante réalisatrice pendant dix 
				ans, elle a enfin réussi à obtenir de tourner un film, grâce à 
				l’appui de son père, mais il est interdit…  
				
				  
				
				Femmes seules vivant 
				sous le même toit, elles sont en butte à des commérages sans 
				fin, mais sur leurs rapports (supposés) avec les hommes, non 
				entre elles : l’homosexualité féminine n’existe pas en Chine 
				dans les esprits de l’époque ; le scandale, c’est de ne pas 
				respecter le sacro-saint mariage, fondement du tissu social. 
				D’ailleurs, leurs liens sont affectifs, comme dans les nouvelles 
				de Lu Yin, elles semblent avoir réalisé le rêve de maison 
				commune de ses amies du bord de mer. Mais cette « arche » n’a 
				rien d’idyllique, elle permet à ces trois amies de se soutenir 
				dans leurs luttes quotidiennes, dans une sorte de sororité de 
				divorcées qui rappelle celle des communautés de veuves 
				d’autrefois. 
				
				  
				
				
				2/ « Frères » (《弟兄们》) 
				de 
				
				Wang 
				Anyi 
				(王安忆)
				 
				
				
				Il s’agit d’une nouvelle de Wang Anyi, publiée en avril 1989 
				dans la revue 
				
				Shouhuo.
				
				
				Si elle est peu connue, dans l’œuvre de l’auteure, elle a fait 
				l’objet de nombreux commentaires et analyses, et intrigue 
				toujours autant. 
				
				
				  
				
				Les trois personnages 
				qui s’appellent frères sont en fait des jeunes femmes qui 
				ont été étudiantes ensemble et ont formé un groupe très uni, et 
				remarqué pour leur non-conformisme. Après s’être perdues de vue, 
				deux d’entre elles se retrouvent alors qu’elles sont mariées et 
				vivent une vie terne et sans éclat. Quand la plus jeune 
				accouche, son frère vient l’aider (rôle 
				traditionnellement réservé à la mère), et s’installe chez elle. 
				Le souvenir de leur amitié passionnée suffit à faire renaître la 
				flamme qui couvait, et à illuminer à nouveau leur quotidien. 
				Mais un incident lié au bébé provoque une rupture ; au moment de 
				se séparer, l’aînée déclare à son amie tout l’amour qu’elle 
				ressent pour elle, mais « trop tard » lui est-il répondu. Et 
				cette réponse sonne comme une condamnation sans appel. 
				
				  
				
				C’est l’un des plus 
				beaux textes de Wang Anyi, qui, lu a posteriori, porte en outre 
				en lui toute la nostalgie d’une époque qui s’achève, avec ses 
				rêves : 
				d’où, aussi, ce « trop tard » …  
				
				  
				
						
							| 
							 
							
							3/ « Vie privée » (《私人生活》) 
							de 
							
							
							Chen Ran (陈染) 
							
							
							Il s’agit cette fois d’un roman publié en 1996, le 
							premier de Chen Ran, marquant les prémices de ce 
							qu’on a appelé « écriture du corps ». L’auteure y
							
							décrit la vie de la jeune Niuniu
							, 
							de son enfance dans les années 1960 à sa jeunesse 
							dans les années 1990, et ses démêlés avec les 
							représentants de l’autorité patriarcale - père, 
							instituteur et docteur - qui tous trois jouent un 
							rôle négatif dans son existence à un moment ou un 
							autre.  
							
							  
							
							Sensible et 
							solitaire, Niuniu a du mal à s’intégrer et à faire 
							face à la réalité. Ses parents étant divorcés, elle 
							vit avec sa mère et entretient un lien homosexuel 
							avec sa voisine, He, qui est veuve. A l’université, 
							elle noue une relation amoureuse avec l’un de ses 
							camarades, Yinnan, un étudiant qui participe aux 
							mouvements estudiantins de 1989. Mais Niuniu perd 
							bientôt tous ceux qu’elle aime : la voisine   | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Chen Ran, Vie privée  | 
						 
					 
					
					meurt dans un 
					incendie, sa mère décède, tandis que son camarade disparaît 
					après les événements tragiques de la place Tian’anmen. Elle 
					sombre alors dans la dépression, se coupe du monde, et vit 
					entre ses souvenirs et les fruits de son imagination. 
				
				  
				
				Vers la fin du roman, 
				elle s’enferme dans sa salle de bains et, se regardant dans la 
				glace, se caresse en imaginant les mains entremêlées de He et de 
				Yinnan sur son corps. Cette scène de masturbation qui a fait 
				couler beaucoup d’encre est pourtant teintée de beaucoup de 
				poésie. Elle est révélatrice de la confusion des sentiments de 
				Niuniu, dans l’esprit de laquelle le souvenir de sa voisine 
				perdure comme une belle histoire à l’issue dramatique, sur fond, 
				ici encore, des événements de Tian’anmen.  
				
				  
				
						
							| 
							 
							4/ « La 
							Chaise dans le corridor » (《回廊之椅》) 
							de 
							
							Lin Bai (林白) 
							
							Il s’agit 
							d’une nouvelle, publiée dans la revue Zhongshan en 
							avril 1993, par une écrivaine souvent associée à 
							Chen Ran, qui a écrit au début des années 1990 une 
							série de récits construits autour de couples de 
							personnages féminins aux relations floues et 
							ambiguës. Le thème est annoncé dans deux nouvelles 
							de 1993, dont cette « Chaise dans le corridor » (en 
							fait plutôt une galerie ouverte, autour d’une cour 
							intérieure dans une maison chinoise 
							traditionnelle) ; Lin Bai y esquisse une peinture 
							floue de relations féminines qui gardent leur part 
							de mystère, ce qui donne au récit son charme sensuel 
							et sa tonalité émotionnelle. 
							
							  
							
							La nouvelle 
							évoque avec subtilité les relations d’une étrange 
							ambiguïté qui ont lié l’épouse d’un riche membre de 
							l’intelligentsia d’une petite ville et sa fidèle 
							servante – ou plutôt suivante, au sens classique du 
							terme : restée seule   | 
							  | 
							
							 
							
							.jpg)  
							
							Lin Bai, La chaise dans le corridor  | 
						 
					 
					
					après la 
					disparition de sa maîtresse dans des circonstances non 
					éclaircies que l’on devine être pendant la Révolution 
					culturelle, celle-ci, maintenant âgée, confie le récit 
					fragmentaire de ses souvenirs du passé à une narratrice 
					intriguée, mais effrayée, de passage sur les lieux cinquante 
					ans après la disparition de la maîtresse, dans une maison 
					fantomatique où la vieille femme  préserve et cultive le 
					souvenir de la disparue comme si elle était toujours 
					vivante.   
				  
				
				Il y a comme une magie 
				sensuelle qui se dégage des non-dits subtils du récit, comme de 
				cette tasse abandonnée auprès d’une chaise dans la galerie 
				intérieure de la maison, comme si sa propriétaire venait de la 
				laisser là pour s’absenter brièvement. C’est l’une des plus 
				belles nouvelles de Lin Bai, écrites au début des années 1990 
				parallèlement à son roman « Une guerre personnelle », et qui 
				restent à découvrir. 
				
				  
				
						
							| 
							 
							5/ « Le 
							Serpent blanc » (《白蛇》) 
							de 
							
							Yan Geling
							(严歌苓) 
							
							/ « Le 
							Serpent blanc » est une nouvelle relativement longue 
							(dans la catégorie des « nouvelles moyennes », que 
							les anglophones appellent novellas), 
							initialement publiée en 1999, et primée en 2001 par 
							la revue Octobre
							. 
							
							  
							
							Calquée sur 
							la légende du Serpent blanc et de sa servante, le 
							Serpent vert, l’histoire est contée avec en 
							arrière-plan la fascination exercée de tous temps 
							par les acteurs travestis d’opéra, mais ici à 
							l’envers des schémas traditionnels, la fascination 
							étant exercée par une actrice sur une jeune fille. 
							La narration est construite selon un schéma complexe 
							où alternent diverses voix représentant des points 
							de vue différents, montrant en particulier la 
							perception des faits par l’entourage des deux 
							femmes. 
							
							  
							
							L’histoire 
							se passe dans le contexte de la période de chaos
							  | 
							  | 
							
							 
							
							  
							
							Le Serpent blanc (recueil), éd. 2005  | 
						 
					 
					
					de la Révolution 
					culturelle. Le personnage principal, Sun Likun (孙丽坤), 
					était une actrice et chanteuse d’opéra célèbre, spécialiste 
					du rôle du Serpent blanc. Au début de la Révolution 
					culturelle, elle est attaquée comme « élément bourgeois 
					décadent » et ennemie de classe, et envoyée réfléchir en 
					prison. Les années passant, elle grossit et perd son éclat 
					d’antan.   
				  
				
				Alors qu’elle traverse 
				ainsi une période de dépression teintée du souvenir de sa gloire 
				passée, elle reçoit la visite d’un jeune officier d’une 
				vingtaine d’années chargé d’enquêter sur elle. Au bout de 
				quelques visites, Sun Likun découvre à sa grande stupeur que ce 
				personnage aux mains fines et délicates est en fait une jeune 
				femme, nommée Shanshan. La première surprise passée, l’attirance 
				qu’elle ressent pour lui/elle n’en est que plus fort, attisée 
				par l’admiration passionnée que lui porte la jeune fille, qui 
				l’a vue jouer quand elle était petite. Les deux femmes passent 
				des jours tranquilles sous le couvert de l’identité officielle 
				de la visiteuse.  
				
				  
				
				A la fin de la 
				Révolution culturelle, cependant, elles se séparent, chacune 
				reprenant son identité véritable. Sun Likun reverra une dernière 
				fois Shanshan quand celle-ci lui annoncera son mariage, mais 
				elle repartira, raccompagnée par sa jeune compagne jusqu’à 
				l’arrêt de bus, avec un dernier geste pour se prouver qu’elles 
				s’aiment toujours autant. 
				
				  
				
				
				C’est le schéma général de ces histoires de femmes de la 
				littérature féminine chinoise, aujourd’hui comme hier : pas de 
				conclusion positive, pas d’union durable, tous les récits se 
				terminent sur des séparations, ou la mort. 
				
				
				  
				
   
					 
					
						
						
						 
						Le Rouputuan
						(《肉蒲团》), 
						ou La Chair comme tapis de prière, trad. P. Klossowski, 
						préface d’Etiemble, Jean-Jacques Pauvert 1962, rééd. 
						Christian Bourgois 1995.  
					
						 
					
						
						 
					
						
						 
					
						 
					
						
						 
					
						
						
						 
					
						
						
						
						
						
						Il est à noter que les Contes du Liaozhai précèdent « Le 
						rêve dans le pavillon rouge » 
						 (《红楼梦》), 
						et que cette liaison triangulaire préfigure le triangle 
						célèbre des personnages principaux du roman de Cao 
						Xueqin : Baoyu (宝玉) 
						/ Daiyu (黛玉) 
						/ Baochai (宝钗)…
						  
					
						
						
						
						 
					
						 
					
						 
					
					
						
						 
					
						 
					
						 
					
						 
					
						
						
						 
						Dans les années 1930, il était devenu commun dans les 
						publications médicales chinoises, et en particulier sur 
						l’éducation sexuelle, de décrire l’homosexualité comme 
						une perversion. 
						Voir 
						Tokens of Exchange: The Problem of Translations in 
						Global Circulations, 
						
						Lydia H. Liu ed. Duke University Press, 1999, p. 303.  
					
						
						
						
						
						Dont : 
						
						Politics, Ideology, and Literary Discourse in Modern 
						China: Theoretical 
						Interventions and Cultural 
						Critique,
						
						
						Kang Liu, Xiaobing Tang eds, Duke University Press, 
						1993, p. 136.  
					
						 
					
						 
					
						 
					
						 
				 
				
				
				 
  
				  
				  
				
				  
				   | 
                
                 
                  
                
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