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Les Editions Philippe Picquier renflouées par des capitaux chinois

par Brigitte Duzan, 1er mai 2016

 

C’est lors d’une conférence de presse à Pékin, le 29 avril dernier, que le groupe Thinkingdom Media (新经典文化股份有限公司) a annoncé sa prise de participation dans les éditions Philippe Picquier [1]. « Il s’agit d’un investissement stratégique (战略投资) » a expliqué le PDG du groupe pékinois, Chen Mingjun (陈明俊).

 

Les éditions Philippe Picquier apparaissent ainsi comme une tête de pont pour promouvoir l’ouverture au marché mondial de la littérature chinoise, activement soutenue par les autorités chinoises. La maison d’édition française a les plus grands noms de la littérature chinoise à son catalogue, de Mo Yan 莫言 à Yan Lianke 阎连科 et Wang Anyi 王安忆, en

 

Le sigle des éditions Philippe Picquier

passant par Yu Hua 余华, Su Tong 苏童, Han Shaogong 韩少功, Bi Feiyu 毕飞宇, Chi Zijian 迟子建, Ge Fei 格非, Li Er 李洱, Fang Fang 方方 etc …

 

Yan Lianke lui-même était en première ligne à la conférence de presse pour exprimer son soutien personnel à l’offensive stratégique du groupe d’édition chinois. Souriant et chaleureux, il a évoqué ses souvenirs de sa coopération avec Philippe Picquier, en soulignant le respect témoigné par l’éditeur aux auteurs et aux œuvres, et le travail minutieux réalisé pour les éditer.

 

Philippe Picquier (photo L’express)

 

Wang Anyi, elle, n’était pas là, mais elle avait envoyé un message de félicitation dans lequel elle soulignait l’importance primordiale de la maison d’édition française pour les traductions de ses propres œuvres ; Philippe Picquier, a-t-elle ajouté, lui a permis de trouver un autre espace de diffusion pour ses romans : un autre lectorat, dans une autre langue.

 

Participait également à la conférence de presse le très influent vice-président de l’Association des écrivains chinois

Li Jingze (李敬泽) qui s’est félicité de cette collaboration, les éditions Philippe Picquier étant, pour la littérature chinoise, une voie essentielle vers le marché français, et vers le monde. … La collaboration entre ces deux maisons d’édition ne peut, a-t-il conclu, que contribuer à promouvoir leur but commun : « faire entendre au monde un bien plus grand nombre de merveilleuses histoires (让世界听到更多精彩的故事) ».

 

Créé en 2002, le groupe Thinkingdom est spécialisé dans l’édition en chinois des grands classiques du monde entier, livres connus, et moins connus, du public chinois.

 

La maison d’édition "Philippe Picquier, livres d’Asie", quant à elle, a été créée en 1986 comme « lieu de rencontre », par un passionné de l’Asie né à la fin des années 1950. Amoureux de la littérature japonaise, Philippe Picquier a commencé par éditer cette littérature, parce que c’était une niche à l’époque, dans le paysage éditorial français, puis il y a joint la littérature chinoise, et il a ensuite progressivement étendu son champ d’action à la Corée, au Vietnam, à la Thaïlande, à l’Indonésie, à l’Inde et autres pays asiatiques – onze langues asiatiques au total et 1210 titres, sans domaine spécifique.

 

Le catalogue papier comporte 76 titres de littérature chinoise, en seconde position derrière la littérature japonaise qui reste prédominante, avec 141 titres en incluant les romans policiers – d’ailleurs le sigle lui-même de la maison est emprunté à l’iconographie japonaise.

 

Ces derniers temps, Philippe Picquier était revenu en force vers la littérature japonaise, et coréenne à l’occasion de l’année de la Corée. Il reflétait ce qui est dans l’air du temps : après des années d’une sorte de passion monomaniaque pour la Chine, sa littérature et

 

Yan Lianke à la conférence de presse annonçant

l’accord entre les deux maisons d’édition

son cinéma, elle n’a plus la faveur du public français. Les raisons en sont partiellement politiques, mais pas seulement. On observe un phénomène de lassitude. Il y a donc un marché à reconquérir. En même temps, les traductions ont fini par être en grande partie déconnectées de la réalité littéraire de la Chine. Il y a donc, aussi, un nouvel effort à réaliser : effort de découverte, de nouveaux auteurs et de nouvelles formes littéraires, et effort de sensibilisation du public, comme ce qui a été fait dans les années 1980-1990, avec un pic au moment des années croisées en 2003-2004.

 

Les livres de Philippe Picquier exposés

 lors de la conférence de presse

 

C’est un mouvement auquel a participé, justement, Philippe Picquier. Mais il reste quasiment l’unique survivant de cette période glorieuse, où les lettres chinoises disposaient de plusieurs éditeurs spécialisés qui ont peu à peu mis la clef sous la porte ou ont été rachetés et incorporés dans des grands groupes. Espérons donc que cet apport en capital lui donne les moyens de retrouver une force de frappe suffisante pour repartir dans une nouvelle phase d’expansion de son domaine chinois.

 

C’est ce que souhaite le groupe chinois qui définit son investissement comme relevant d’une

stratégie à long terme : « en renforçant la maison d’édition française, on va lui permettre de faire bien mieux connaître aux lecteurs français les écrivains contemporains chinois et leurs œuvres, en continuant à faire découvrir les meilleures œuvres des nouveaux auteurs. Il n’est seulement question de créer un nouveau lectorat pour les écrivains chinois, mais de créer aussi un nouvel espace de création.

 

Au-delà de ces déclarations d’intention, ce qui reste inconnu, c’est la hauteur de l’investissement du groupe chinois. Il reste à voir la liberté de manœuvre qui sera laissée à Philippe Picquier, dans les choix éditoriaux et, plus généralement, dans la vie de sa maison. Ce qui est rassurant, c’est le soutien apporté à cette initiative par les auteurs chinois eux-mêmes.

 

 


[1] Conférence de presse du 29 avril 2016, source sina dushu 新浪读书 

http://book.sina.com.cn/news/c/2016-04-29/0026802642.shtml

 

 

 

 

  

 

 

 

     

 

 

 

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