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Jentayu hors-série n° 5 : la littérature de Hong Kong

par Brigitte Duzan, 25 septembre 2022 

 

 

Jentayu, hors-série n° 5 avec en couverture HK Map,

de Running Swan (2018)

 

 

Après son premier hors-série consacré à la littérature taïwanaise contemporaine, paru en 2016, puis des détours par la Thaïlande, l’Indonésie et la Mongolie, les éditions Jentayu reviennent vers une littérature sinophone avec ce nouveau hors-série paru en septembre 2022, consacré à la littérature contemporaine de Hong Kong.

 

Tout aussi richement illustré que les précédents, ce hors-série n° 5 offre un aperçu de la littérature hongkongaise actuelle à travers des traductions de poèmes, nouvelles et essais d’une quinzaine d’auteur.e.s dont beaucoup sont très jeunes et encore inédit.e.s en France. L’ouvrage s’ouvre sur un avant-propos de Gregory B. Lee, professeur d’études chinoises à l’université St Andrews en Écosse et membre de la Hong Kong Academy of the Humanities (香港人文學院) [1]. Il dresse un état des lieux de la complexe topographie linguistique de Hong Kong et de l’évolution du cantonais et de la culture cantonaise depuis 1949, une culture qui semble en voie de devenir un autre aspect de « déjà disparu » dont parlait Ackbar Abbas à la veille de la Rétrocession, en 1997 [2].

 

S’appuyant sur ce même auteur emblématique, les deux éditeurs – Coralyne Jortay et Gwennaël Gaffric – soulignent dans leur introduction combien il est difficile de trouver un corpus représentatif de textes littéraires hongkongais tant il est vrai que l’identité hongkongaise est de nature transitoire, Hong Kong étant essentiellement un lieu de passage, avec des flux et reflux migratoires en fonction de circonstances politiques dictées ailleurs. Pourtant, de ce hors-série se dégage une atmosphère lourde, un pessimisme ambiant entraînant un désir de fuite qui étaient déjà les caractéristiques du climat de 1997, comme si c’était bien là le lot commun récurrent des Hongkongais.

 

De Liu Yichang (刘以鬯), né au début du 20e siècle et considéré comme le « parrain » de la littérature moderne de Hong Kong, à la génération d’aujourd’hui, pratiquement rien n’a changé, comme le montrent les dix parties du texte « Pièces vides » (空室) de Leung Lee-chi (梁莉姿) [p. 71] inspiré d’une série semblable écrite par Liu Yichang en 1968, l’un évoquant les « désordres » de 2020, l’autre les émeutes de 1967.

 

Ce hors-série offre une sélection de textes des meilleur.e.s auteur.e.s du moment, jeunes, et même très jeunes, et moins jeunes, chacun.e dans un style, un genre personnels. On retrouve par exemple dans la série de textes très courts de Dung Kai-cheung (董啟章) regroupés sous le titre « Atlas, un florilège » (地圖集) [p. 49] les préoccupations de cet auteur qui, depuis le début des années 1990, a créé un espace imaginaire original perçu à travers l’histoire littéraire (et la littérature comparée) : une image en miroir de la ville recréée par la fiction, où se profile l’ombre tutélaire de Borgès.

 

Ce hors-série est aussi l’occasion de découvrir de tout jeunes auteurs.e.s encore inédits en traduction française : Wong Yi (黃怡), née en 1991, représentée ici par deux nouvelles dont la première, écrite en septembre 2020 à l’occasion du 20ème anniversaire de la sortie du film « In the Mood for Love »《花样年华), est un jeu subtil sur les deux personnages emblématiques du film de Wong Kar-wai ; Hon Lai-chu (韓麗珠), née en 1978, dont le texte choisi pour le hors-série – « Soleils noirs » (黑日) - est extrait d’un recueil d’essais éponymes de 2020 ; ou encore Lawrence Pun (潘國靈) dont la nouvelle « Le Bibliotarium de l’Île-distante » (《離岛上的一座图书馆疗养院》) évoque une bibliothèque-sanatorium-asile de fous où semblent se retrouver toutes sortes d’évadés du carcan mortifère de la ville, pour tenter de se donner un but existentiel autour de la vénération des livres, là encore dans l’ombre de Borgès.

 

Des poèmes sont habilement insérés entre les textes, ils contribuent à l’atmosphère d’infinie tristesse et de cauchemars sur fond de sauve-qui-peut général. « Certaines soirs, ils reviennent / les bouts d’histoire d’horreur que j’ai dans la tête », dit Jennifer Wong dans son poème « L’appel aux morts ».

 

Et puis, comme pour un instant de détente au milieu de la sinistrose ambiante, on peut lire au passage un récit bien mené de Chan Ho-kei (陳浩基), le spécialiste des thrillers hongkongais : « Traque sur fond bleu » (《窥伺蓝色的蓝》) semble d’abord une histoire de meurtre soigneusement prémédité dont on pense avoir tout compris, banalement… jusqu’à ce que le narrateur opère une volte-face et nous dévoile un dessous des cartes tout à fait dans l’air du temps. C’est un bon moment à savourer avant de continuer avec « de sombres choses » concoctées par Dorothy Tse (謝曉虹).

 

Les titres et noms d’auteur.e.s sont donnés en chinois et à chaque auteur.e correspond en fin de volume une notice biographique. Les illustrations apportent une agréable diversion visuelle.

 

Nouvelles et proses [3]

 

- Montagne (), de Ng Hui-bin (吳煦斌), trad. Sandrine Marchand

- Atlas, un florilège (地圖集), de Dung Kai-cheung (董啟章), trad. Gwennaël Gaffric

- Pièces vides (空室) de Leung Lee-chi (梁莉姿), trad. Brigitte Duzan

- Traque sur fond bleu (《窥伺蓝色的蓝》) de Chan Ho-kei (陳浩基), trad. Alexis Brossolet

- De sombres choses de Dorothy Tse (謝曉虹), trad. Coralyne Jortay

- Deux nouvelles de Wong Yi (黃怡), trad. Lucie Modde

- Soleils noirs de Hon Lai-chu (韓麗珠), trad. Gwennaël Gaffric

- Le Bibliotarium de l’Île-distante de Lawrence Pun (潘國靈), trad. Gwennaël Gaffric

 

Essai

- Le Hong Kong d’Eileen Chang et Wang Anyi, de Xiaosi (小思), trad. Lucie Modde

 

Poèmes de Leung Ping-kwan, Xi Xi, Jennifer Wong, Ho Lai-ming, Nicholas Wong, Louise Law.


 

 


[2] Hong Kong, Culture and the Politics of Disappearance, University Of Minnesota Press, 1997.

[3] Sommaire complet sur le site de Jentayu, avec les autres hors-série :

http://editions-jentayu.fr/nos-publications/

 

 

     

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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