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				La femme à Shanghai 
				hier et aujourd’hui contée par la romancière Wang Anyi
				 
				par Brigitte Duzan, 29 juin 2011   
					
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				La romancière
				
				Wang Anyi (王安忆) 
				était lundi 27 juin au Centre culturel de Chine à Paris pour une 
				conférence très attendue sur un sujet qu’elle connaît bien et 
				qui lui est cher : la femme à Shanghai.  
				  
				Le titre (上海女性的故事)
				annonçait non 
				point une histoire de la Shanghaïenne au sens conventionnel, 
				mais un récit (故事), 
				bordant sur le conte.
				 
				  
				Wang Anyi est partie en 
				fait de quatre histoires de femmes à Shanghai, contées par 
				quatre romancières dans quatre nouvelles datant de quatre 
				époques différentes, de la fin des années 1920 à la fin des 
				années 1990, soit soixante dix ans d’une histoire mouvementée 
				qui a fait passer Shanghai d’un monde encore empreint de 
				tradition, mais déjà ouvert sur la modernité, à la métropole 
				ultramoderne que nous connaissons aujourd’hui.  |  | 
						 
						Wang Anyi (王安忆) 
						 (photo : Pierre Demont) |  
				  
				La première nouvelle 
				est de 
				Ding 
				Ling (丁玲), 
				et date de 1929.    
					
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						Ding Ling (丁玲) |  | 
						
						
						« Une petite 
						maison dans la ruelle Qingyun » (《庆云里的一间小屋》) décrit les 
						réflexions et doutes d’une jeune femme, Aying (阿英), 
						qui ‘travaille’ dans une maison close de Shanghai, à la 
						fin des années 1920. 
						  
						La ruelle en 
						question était en effet située dans un quartier de 
						maisons closes (ou 
						
						青楼 
						qīnglóu, 
						littéralement ‘maison bleue’) ; 
						il s’agissait d’établissements de luxe, gérés de 
						manière familiale et remontant à une très ancienne 
						tradition, du type dépeint par le cinéaste taiwanais Hou 
						Hsiao-hsien (侯孝贤) 
						dans son film « Les fleurs de Shanghai » (《海上花》). 
						Les femmes de ces maisons étaient cultivées, et 
						possédaient le plus souvent des talents artistiques qui 
						leur permettaient d’entretenir leurs hôtes. |  
				  
				Aying est ainsi. C’est 
				une femme émancipée, qui gagne sa vie, mais qui se pose des 
				questions sur son avenir : elle a connu un garçon qui l’aime, 
				dans son village natal, et se demande si elle ne devrait pas 
				l’épouser. Mais trois 
				considérations la retiennent : est-ce qu’un seul homme lui 
				suffira dans la vie,  
				est-ce que leurs 
				économies cumulées leur permettront de vivre décemment, et, de 
				manière plus générale, est-ce qu’une vie rangée de la sorte lui 
				conviendra ? 
				  
				
				Ding 
				Ling 
				nous dépeint une femme déjà autonome, qui a du mal à concevoir 
				une vie réglée par les lois du mariage et de la vie sociale 
				conventionnelle. C’est une femme assez typique des personnages 
				féminins des nouvelles qu’elle a écrites à la fin des années 
				1920, mais c’est aussi l’ébauche de la femme moderne et de ses 
				problèmes existentiels. 
				  
				La seconde nouvelle 
				est de 
				
				Zhang Ailing (张爱玲)
				et date de 1949.    
					
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						« Le blocus » (《封锁》)
						 
						se passe à Shanghai, sous 
						l’occupation 
						japonaise. Un quartier vient d’être bloqué, comme cela 
						arrivait régulièrement en raison des combats et des 
						bombardements. Un trolley est arrêté au milieu de la 
						route en attendant de pouvoir repartir. A l’intérieur, 
						un homme et une femme se rencontrent ainsi par hasard et 
						engagent la conversation. 
						  
						Elle est 
						enseignante, d’un niveau universitaire assez élevé. 
						L’homme, lui, 
						est un travailleur qui se rend à son travail. 
						C’est le type 
						même du Chinois traditionnel, avec une femme qu’il a 
						épousée après un mariage arrangé, et qui rêve 
						d’amour, et 
						plus concrètement d’une concubine. C’est  |  | 
						 
						Zhang Ailing (张爱玲) |  
				d’ailleurs ce qu’il 
				propose à la jeune femme, en lui promettant d’être « très 
				gentil ». La jeune femme hésite un bref instant, mais l’alerte 
				est vite levée, et le trolley repart.   
				La question 
				implicitement soulevée par 
				
				Zhang Ailing est celle de la place dans la 
				société des femmes ayant atteint un bon niveau d’éducation : 
				comment peuvent-elles trouver un mari qui leur convienne ? 
				sont-elles condamnées à rester seules ? Dans la Shanghai de 
				l’époque, l’éducation de la femme, rêve et objectif de la 
				génération du 
				
				4 mai 1919, peut bien 
				assure aux femmes une certaine indépendance, elle ne semble déjà 
				plus la panacée pour leur assurer le bonheur. 
				  
				La troisième 
				nouvelle est de la mère de 
				Wang Anyi,
				
				Ru Zhijuan (茹志鹃)
				et date de 
				1959.     
					
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						Ru Zhijuan (茹志鹃) |  | 
						Intitulée 
						« Redoux printanier » (《春暖时节》), elle se passe pendant la 
						période du Grand Bond en avant. C’est une période 
						d’industrialisation à outrance, marquée par des 
						migrations importantes des campagnes vers les villes où 
						de nouvelles petites industries attirent les ruraux en 
						leur offrant des possibilités d’emploi. C’est le cas en 
						particulier à Shanghai où des petits ateliers poussent 
						comme des champignons dans les ruelles. 
						  
						Le couple 
						décrit par 
						
						Ru Zhijuan est 
						un exemple de ces paysans récemment arrivés en ville. Le 
						mari est un ouvrier qualifié qui a trouvé du travail 
						dans une usine ; la femme, Jinglan (静兰), 
						travaille, elle, dans un petit atelier du quartier. Ils 
						ont obtenu une certaine aisance et indépendance 
						financière, mais Jinglan sent leur couple se défaire peu 
						à peu, car leur travail les éloigne : son mari  |  
				progresse tandis 
				qu’elle doit s’occuper de la maison et des enfants, et stagne 
				dans un petit emploi. 
				  
						La Shanghai 
						décrite est une Shanghai passée d’une ville 
						consommatrice à une ville productrice. En ce sens, elle 
						offre de nouvelles opportunités aux femmes, des champs d’activité plus 
						diversifiés. Mais leur objectif n’est plus alors que de 
						rattraper leurs homologues masculins en terme de 
						réussite professionnelle. Dans une société fondée sur la 
						collectivité, les sentiments personnels s’effacent, et 
						laissent finalement un vide affectif que le reste 
						n’arrive pas à compenser. 
						  
				La quatrième 
				nouvelle est de Mian Mian (绵绵)
				et date de 
				1997.     
					
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						« La la la » (《啦啦啦》) 
						est écrite à la 1ère personne, près de 
						quarante ans après la précédente. Shanghai est redevenue 
						la ville consommatrice de ses débuts, mais c’est une 
						consommation matérielle effrénée. 
						  
						La « je » du 
						récit est une jeune femme au passé flou, tout comme le 
						garçon avec lequel elle vit, un chanteur de rock. Les 
						temps ont changé : on sent une certaine aisance 
						matérielle, les parents sont partis à l’étranger et 
						envoient de l’argent, il n’y a pas de problèmes de fins 
						de mois.  En même temps, ces jeunes ont également 
						beaucoup de temps et de liberté. 
						  
						Mais cette 
						liberté est à double tranchant. D’une part, c’est la 
						liberté de changer de partenaire au gré du vent, de 
						l’humeur et des rencontres. C’est aussi la liberté   |  | 
						 
						Mian Mian 
						(棉棉) |  
						de s’enivrer et se droguer ad 
				libitum pour combler le vide existentiel et 
				l’ennui d’une vie sans 
				but et apparemment sans lendemain. 
				  
				Finalement, la femme 
				est libre, émancipée, vit une existence facile, mais le bonheur 
				semble encore moins au rendez-vous que pour ses consœurs  du 
				passé. 
				  
				Histoire d’un 
				progrès illusoire ? 
				  
				Ces quatre récits 
				forment ainsi une sorte de parcours historique illustrant 
				l’évolution de la condition de la femme à Shanghai au cours du 
				siècle écoulé. Il manque bien une étape importante, mais, 
				finalement, dit la romancière, ces quarante années sont passées 
				si vite que, lorsqu’on jette un regard en arrière, tout cela 
				semble un songe.  
				  
				Wang Anyi s’est arrêtée 
				au bord de son récit, en laissant à chacun le soin d’en tirer 
				les conclusions, qui ne sont pas franchement optimistes, a 
				priori. Le développement économique a libéré les femmes du souci 
				du quotidien, mais troqué cette liberté contre d’autres 
				problèmes. 
				  
				En fait les quatre 
				nouvelles, ensemble, forment une sorte de synthèse des 
				situations vécues aujourd’hui, à divers degrés. Chaque femme des 
				récits contés vit un problème qui est toujours actuel. 
				 
				  
				La situation de la 
				femme, enfin, est emblématique de celle de la ville elle-même, 
				une ville qui a énormément changé, qui s’est développée et 
				enrichie, mais où la vie, finalement, n’est peut-être pas 
				tellement différente, où les problèmes se posent, éternellement, 
				en termes identiques : culturels, affectifs et spirituels. 
				  
				On ne peut que louer 
				l’intelligence d’une romancière qui a su, en outre, engager un 
				dialogue dénué des clichés habituels avec son auditoire ; on 
				envie les étudiants qui l’ont comme professeur à l’université 
				Fudan.   
   
				A lire en 
				complément : 
				
				
				« Une petite pièce dans la ruelle 
				Qingyun » (《庆云里的一间小屋》) 
				
				« Bouclage » (《封锁》) 
				de Zhang Ailing  (张爱玲) 
				          
				  
				  
				  
				    
					   
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